Marvin me donne rendez-vous sur son chalutier. Une belle embarcation de 25 mètres de long amarrée dans le port du Légué à Saint Brieuc. A terre pour les trêves de noël, il en profite pour faire des ‘petites bricoles’.
Je me gare au mauvais endroit. Au téléphone, Marvin me redirige avec ses mots à lui : « il faut que tu prennes à l’Est, vers le large ». Je le retrouve enfin et lui demande quelles étaient les petites bricoles qu’il effectuait avant mon arrivée. « Pas grand chose… » , me répond-il les mains pleines de cambouis, «…de la maintenance de culasse, juste un passage de câble dans le moteur principal touché par l’oxydation avec l’eau de mer ». Des petites bricoles.
Marvin tout sourire derrière sa barbe irrégulière me fait le tour du propriétaire. Du local barre au chauffe-botte bien pratique, la visite se poursuit tout en saluant les matelots à bord. Nous nous installons à la passerelle du commandant et laissons derrière nous les effluves d’huiles moteurs et de poissons.

Marvin est marin-pêcheur. Sa profession a subi de plein fouet la Covid 19. Avec la fermeture des restaurants, la demande et les prix ont chuté sur la vente de leurs poissons. Ils ont dû davantage jouer sur la diversité que sur la quantité pour écouler leurs stocks au second confinement. L’avenir de la pêche l’inquiète : « Mon père me dit que j’ai une vision de plus en plus pessimiste du métier », précise Marvin. Il me parle des quotas toujours plus restrictifs, du Brexit qui a menacé et questionné la pêche française et des pêches en culture qui tendent à se multiplier.
Les pêcheurs ont parfois du mal à suivre tellement les réglementations se succèdent. C’est le cas avec le bar ces deux dernières années. Ils sont passés d’une pêche « no-limit » à un quota strict en fonction du 48ème parallèle au nord ou au sud et avec un calendrier précis, pour protéger l’espèce. Ils ont dû adapter les mailles de leurs filets, et s’adapter eux aussi.
Une passion transmise par son père
Avec un père marin-pêcheur, Marvin a baigné dedans dès son plus jeune âge. « À quatre ans, je suis revenu de l’école et j’ai dit à ma mère ‘j’arrête l’école je veux faire de la pêche’», raconte-t-il aujourd’hui comme une anecdote, « dès tout petit, j’étais déjà dedans ». Entre 12 et 13 ans, il accompagne son père sur des marées d’une semaine dans la Manche au nord de Guernesey.
“À 4 ans, je disais déjà à mes parents que je voulais devenir marin-pêcheur”
Plus tard lycéen, la mère de Marvin l’interdit d’embarquer avec son père. Elle veut qu’il se consacre à ses études. « Je passais plus de temps à en parler et à vouloir embarquer qu’à faire mes devoirs », avoue-t-il. Après ses études, il s’engage dans la marine marchande et obtient son brevet machine. À bord, il exerce en tant que chef mécanicien. Il alterne entre deux semaines en mer et une semaine à terre, légalement il peut enchaîner jusqu’à 5 semaines en mer. Au bout de quatre ans, il décide de passer son brevet de commandement pour exercer à la passerelle et patronner.
Il travaille dans la même société que son père : « l’Armement Jean Porcher ». C’est le plus gros armement hauturier de Bretagne nord avec 220 salariés et 15 chalutiers : « À l’époque, dit-il, on évoluait moins rapidement ». Son employeur Jean Porcher s’est construit et développé dans la région. Il a commencé comme mousse à Terre-Neuve au large des côtes Canadiennes dans la pêche à la morue pendant quatre ans. De retour au pays, au port de Dahouët, il achète en 1971 son premier bateau. C’est le début de l’armement Porcher qui participe à la création des criées d’Erquy et de Saint-Quay-Portrieux. Désormais plus de 40 espèces différentes des mers salées sont débarquées à Roscoff tout au long de l’année.
Commandant de bord à 27 ans
À 27 ans, Marvin part pour la première fois en tant que ‘patron’ remplaçant sur son chalutier. « La première fois que tu prends la mer en tant que patron, t’es pas bien, c’est fou, tu trembles et tout », reconnaît-t-il. Il sourit et me montre sa main qui tremble.
En tant que patron, il est le commandant de bord et a la responsabilité du bateau et de son équipage au nombre de six. Il navigue, décide des secteurs de pêche, assure une veille permanente du trafic maritime, effectue le suivi administratif des captures 24h sur 24h et donne les ordres. Avec son équipage, ils pratiquent la ‘pêche au large’. Rien que pour faire l’aller, il faut parfois compter jusqu’à 15h de navigation. Au total, ils leur arrivent de naviguer 500 milles nautiques en une semaine, soit 926 kilomètres.
Marvin prend des notes à longueur de temps. Il faut réfléchir aux cycles, aux marées, aux réchauffements pour trouver le poisson. Il m’explique que c’est stressant car il y a beaucoup de concurrence entre les bateaux anglais, hollandais, espagnols… ou même au sein de sa société. Les pêcheurs étant rémunérés pour la majorité de leur salaire « à la part », le patron-commandant a la responsabilité de leur récolte et donc de leur salaire. Cela peut être « pesant », dit-il, s’il sent avec l’équipe qu’il ne va rien gagner à la fin de la semaine.
La fatigue n’est pas la même en tant que mécano ou patron, l’une est plus physique quand l’autre est mentale. « Une fois quand j’étais mécano, j’ai fait quatre semaines d’affilée, t’es rendu quand tu fais un mois de mer » me dit-il. Quand ils sont en mer, les matelots et le mécano ne se reposent que pendant « les traits ». Un trait est l’action de déposer son chalut en mer et d’avancer à petite vitesse pour pêcher son poisson. Cela dure entre 2 et 3h30, pas plus, pour avoir du poisson frais. Quand ils remontent leur capture, ils lavent, trient et éviscèrent chaque lot avant de les placer dans la cale à 2 degrés. Puis, ils recommencent en boucle leurs traits de jour comme de nuit, ce qui leur laisse environ 2h toutes les 4h pour manger ou dormir. Une bonne moyenne est un trait de 500 kilos de poisson en 3h. Ils peuvent débarquer jusqu’à 15 tonnes de poisson par semaine avant de faire le plein de vivres, de gasoil et de repartir.
Extraits de Go-pro sur la manœuvre d’un trait, janvier 2018.

Un marin qui a le mal de mer
Entre ce rythme soutenu, les éléments de la nature imprévisible ou encore la pression de ne rien trouver pour leur ‘salaire à la part’, je lui demande ce qu’il trouve de plus difficile dans son métier. Il réfléchit. Marvin ne sait pas vraiment quoi me répondre… jusqu’à : « Ah si !, mon mal de mer !». Un marin qui a le mal de mer ?. « Faut passer outre, mais c’est gênant. Quand je dois repartir, je sais que je vais être malade, je dois rendre, je vais vomir, c’est pas dans la tête, ça dure 24h… ça te fout à plat, tu te tapes des suées ».
Ce qu’il qualifie de « gênant », Marvin l’a systématiquement dès qu’il part en mer, qu’il doit réembarquer ou qu’il part travailler. Malgré son mal de mer, il continue et aime plus que tout son métier. Un métier qui le coupe un peu de ses relations sociales et force la solitude. « Ça n’a pas toujours été évident de trouver une copine », me confie-t-il. Il faut qu’elle accepte son amour premier pour la mer. C’est le cas de sa compagne actuelle avec qui il vit. Il ne l’appelle qu’une fois toutes les deux semaines lorsqu’il est en mer. Pour cause, les communications satellites coûtent très chères.
Chaque semaine est différente et la mer leur réserve bien des surprises à bord, que ce soit des casses de chalut, de filets ou des prises plus ou moins prolifiques. L’environnement politique européen opère souvent, lui aussi, sur la législation de la pêche.
Récemment, le plus préoccupant restaient les dernières négociations du Brexit avec le risque d’un no-deal qui cassait alors les accords de la politique commune de la pêche. « En redevenant souverains de leurs eaux, les Britanniques récupéreraient les deux tiers du territoire de pêche que nous exploitons. Le pire, c’est que plus de la moitié de leur pêche sert à l’exportation », m’explique Marvin en me montrant la délimitation des flottes britanniques sur une carte marine.
Cet accord s’est finalement soldé le 24 décembre 2020 par une répartition plus équitable des quotas. Progressivement les Européens devront laisser 25% de leurs prises au Royaume-Uni. Marvin est tout de même soulagé que les Britanniques restent dans la politique commune de la pêche européenne, mais il attend les nouvelles discussions qui auront lieu d’ici cinq ans et demi.
Pas de quoi entamer le moral de ce marin. Quand je lui demande ce qui le rend le plus heureux dans son métier, il réfléchit une seconde et me répond naturellement : « De quoi je peux me plaindre ? J’ai la mer la plus poissonneuse ».
