Pierre et Maud
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Nous sommes le 1er Mars et il pleut des cordes lorsque Pierre passe la porte du café parisien, l'Odilon. Imperméable fermé et grand sourire aux lèvres, le jeune homme vient pour nous parler de Maud Supplies, sa marque de meubles, des produits de qualité, certifiés artisanat français.

« On dit Maud comme le prénom… » affirme Pierre. Il a les yeux qui brillent lorsqu’il évoque le nom de sa propre marque de meubles. « J’ai toujours été sensible aux arts, au design d’objets, à la mode », quand certains changent littéralement leur façon de vivre à l’âge adulte, Pierre lui connaît un changement de vie à l’âge de 9 ans : « en 96, alors que j’habitais dans les Hauts-de-Seine (92), mes parents ont décidé de déménager dans le Loiret. Moi j’étais un petit banlieusard et je me suis retrouvé dans une région que je ne connaissais pas du tout », se souvient-il. Il quitte donc la ville et ses pavillons pour aller vivre dans une grande ferme à Bouzy-la-Forêt. Il raconte : « Mes parents avaient décidé de retaper la ferme où l’on habitait. Pour moi et ma sœur c’était un grand changement, mais on s’est très vite acclimatés. Les parents eux, ils voulaient que l’on se rapproche de la nature et pour nous séduire, entre autres, ils nous ont acheté des chevaux et même un mouton, dit-il en souriant, je me suis vraiment épanoui là-bas. » Le changement est de taille et pour cause la maison fait 100m², la grange le triple, et le tout est surplombé par 2 hectares de terrain… Pierre se sensibilise alors à un tout nouvel univers : la nature. Du bitume des banlieues, il se met à regarder son père retaper une grange. « Avec ma sœur on était jeunes, on n’avait pas forcément envie d’aider à la reconstruction, mais je me souviens très bien d’un été où l’on a construit une cabane dans un arbre, c’était hyper agréable. »

« J’étais le premier de mon école à être accepté là-bas, c’était fou… j’allais travailler à Paris ! »

L’enfance de Pierre passée à Bouzy-la-Forêt le mène à faire des études d’arts appliqués et dès la seconde il est sensibilisé aux métiers d’arts appliqués : « Au début j’ai aimé me perdre dans le flot des différents métiers artistiques. Le design d’objet, la mode, l’architecture… Tout ce que j’aimais au plus profond de moi commençait à avoir une réalité professionnelle », nous confie-t-il. Et comme pour parfaire ses études, le père de Pierre et son oncle s’associent et créent une entreprise de menuiserie : « c’était le timing idéal pour moi. Grâce à leurs machines j’ai pu commencer à tester des trucs, j’avais une liberté artistique totale ! » s’exclame-t-il. A la suite des arts appliqués, le créateur en herbe est admis à L’école Estienne, l’École Supérieure des Arts et Industries Graphiques. « J’étais le premier de mon école à être accepté là-bas, le jour où j’ai appris mon admission j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, c’était fou, j’allais travailler à Paris ! », s’émeut-il. Dans cette école parisienne, Pierre s’implique beaucoup dans le graphisme d’édition et la publicité. Du logo à l’affichage, il s’ébahit devant certaines pubs : « je me souviens à l’époque, il y avait une affiche pour le Sida qui ornait les panneaux des rues de Paris. On y voyait un portrait et il y avait un petit truc au niveau de la bouche du personnage qui te titillait, tu vois, explique-t-il en faisant des petits gestes, et lorsque tu te rapprochais au plus près, tu pouvais lire quelque chose comme : « Bravo vous avez réussi à vous approcher d’un séropositif ! » Cette pub m’avait vraiment touchée, je m’étais dit : quelle intelligence ! » Ce déclic permet à Pierre de découvrir le côté ludique de la communication visuelle, « A l’époque, j’avais vraiment de l’appétence pour les nouveaux designers à la mode, tel que les 5.5 designer, Matali Crasset ou encore les frères Bouroullec, c’était devenu de véritables références. »

Ses diplômes en poche, Pierre se lance dans le design graphique : « à l’époque j’idolâtrais un studio de création parisien : H5 et j’ai réussi à être pris en stage chez eux, dit Pierre les yeux rêveurs, quand je suis arrivé dans la boîte, ils venaient d’avoir un césar et un oscar pour le meilleur court métrage d’animation qui s’appelait Logorama ». Le métier de Pierre commence alors à prendre forme. De stagiaire, il devient salarié ce qui lui permet de travailler sur plusieurs campagnes de pub, du champagne Moët et Chandon au parfum Diane Furstenberg, en passant par le groupe LVMH, ses idées lui permettent de gagner plusieurs concours. « Le fondateur de H5, Ludovic Houplain, m’a énormément marqué, il avait une vraie conscience éthique et écologique, et mettait en avant des causes nobles et humanistes, qui tiraient beaucoup vers le Made in France. ». Au fil des années Pierre développe alors un amour pour l’objet. Cette idée en tête, il décide de quitter H5 et de se lancer dans l’aventure MAUD.

« On a trouvé le nom de notre marque en associant nos deux noms de familles. Et puis, ça faisait une troisième personne, féminine ! »

« Un beau jour, alors que j’arrive à mon club de karaté, je tombe nez à nez avec un ancien illustrateur d’H5, Tim. A l’époque, on se connaissait de vue et en discutant on s’est rendu compte qu’on avait tous les deux quitté H5 depuis six mois, un an. On était assez revanchards de la vie, on voulait trouver le moyen de se reconstruire. Un soir, alors que les deux anciens collègues se retrouvent pour boire des bières, l’idée de se mettre au vert apparaît comme une évidence. « On a mûri le projet pendant trois ou quatre mois, et on a décidé de partir là où tout avait commencé pour moi, à Bouzy-la-Forêt ». Les deux jeunes hommes se retrouvent alors chez les parents de Pierre pendant six mois : « On voulait apprendre à se servir des machines, on avait vraiment l’envie de créer. L’idée de Maud est arrivée assez vite, on a trouvé le nom de notre marque en associant nos deux noms de familles. Et puis, ça faisait une troisième personne, féminine, c’était pas mal ! » dit-il en riant « Le claim de Maud c’est de faire des objets qui resteront. Des objets les plus simples et durables possible. En gros, les objets de Maud sont comme un bon t-shirt blanc ou un jean brut, ce ne sont pas des objets qui vont forcément retenir l’attention, mais ce sont de bons basics », affirme-il. « A 25 ans je me suis retrouvé à re-vivre chez mes parents avec un gars, que je ne connaissais pas beaucoup à la base, mais qui au fil du temps, est devenu mon meilleur ami » ajoute-t-il. Pour monter leur marque Pierre et Tim s’imposent un rythme loin des clichés étudiants, ils se retrouvent tous les soirs à souper à 19h30, et se lèvent aux aurores. « C’était vraiment nature-peinture, je me levais, j’allais courir dans la forêt et on se retrouvait à l’atelier à 8h pour travailler ». Les jeunes entrepreneurs commencent alors à travailler le bois. « On s’est vite dit que ce qu’on aimait le plus faire, c’était de penser les objets, de créer les prototypes. On a donc cherché pendant six mois, et on a fini par trouver un artisan dans le Jura, pour fabriquer nos objets ». Un jour Tim a eu besoin d’un bureau, le bois étant trop lourd, le duo décide de commencer à travailler l’acier. « Le bureau fut notre premier succès, on a eu quelques commandes, du sur-mesure, oscillant entre bois et métal », explique-t-il. Les garçons ressentent vite le besoin de faire une autre collection entièrement dédiée à un seul matériau, ils décident alors d’en dessiner une, entièrement métallique, ainsi qu’une seconde en bois brûlé.

Depuis, la suite de Maud s’écrit seulement entre les mains de Pierre. « Même si on a réussi à vendre, c’était pas suffisant pour vivre correctement, Tim a eu un enfant, et un jour il m’a dit qu’il préférait arrêter. Je me suis retrouvé tout seul, mais j’ai rien laissé tomber », dit-il. Le salon Maison & objet a permis au jeune créateur de travailler avec plusieurs hôtels comme le Pullman ou encore le Royal Mandarin. « Je suis très fier de là où sont fait mes objets et de leur côté artisanal. En vrai je ne gagnerai peut-être jamais ma vie avec Maud, mais ce n’est pas grave, parce que c’est vraiment ce que j’aime faire…» Aujourd’hui, Pierre est à la recherche d’un nouveau binôme pour l’aider dans son marketing business. Maud Supplies est une marque d’objets intemporels qui, nous l’espérons, marqueront les temps à venir… Mais au final, Pierre a peut-être déjà réussi son pari, il sourit : « Un objet c’est avant tout un bout de toi qui a survécu ».

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La question Fler :
De qui ferais-tu le portrait ?

« Je ferais le portrait de l’écrivain Jim Harrison, c’est un bon vivant, un peu comme le Depardieu américain. J’aime beaucoup la vision de la femme qu’il a dans ces bouquins. »

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