« Si on se dit qu’on n’a pas le droit de le faire, on contribue à la séparation des genres »
En octobre dernier, on la rencontrait au beau milieu de ses œuvres. Une pièce lui est dédiée dans le lieu street art éphémère de la rue d’Aguesseau pour l’exposition « Hom(m)e in progress », à Nantes. Le but : laisser l’inspiration de huit artistes s’exprimer sur les murs de cet ancien foyer de sans domicile fixe avant qu’il ne soit rénové. Tout autour, les murs de la pièce sont couverts de visages pointillés. Masculins et fiers, féminins et joyeux. Les personnages nous observent converser, assises au beau milieu de la pièce.
« Si on en a envie, on y va », lance LadyBug. Les femmes ne sont pas nombreuses dans le milieu du street art, mais pour elle qui n’est pas non plus issu de la culture du graffiti ou du lettrage, il faut arrêter de se cloisonner : « si on se dit qu’on n’a pas le droit de le faire, on contribue à la séparation des genres ». Née près du Havre et arrivée à l’âge de six ans dans la petite ville médiévale de Guérande, LadyBug n’a jamais joué aux poupées. Contrairement à sa petite sœur qui s’occupait toute seule, il fallait qu’elle compense. Elle se souvient encore de sa boite à outils, qu’elle reçut pour son cinquième Noël. Sûrement son cadeau le plus marquant. « Je passais mon temps à clouer des planches ! », se souvient l’enfant manuel. Ado, elle passait des heures à fabriquer des choses. Par exemple, elle peignait les piques à brochettes pour les pointer dans son chignon. « Je ne pense pas que c’était à des fins de me démarquer, mais bien de me lancer des défis créatifs ! ».

Une fois débloqué, ça explose.
Aujourd’hui, à 32 ans, la graphiste de formation, se lance un nouveau défi : le pochoir. Dix ans d’agence de communication, ça bride. Après ses études, LadyBug se rend compte rapidement que la créa en agence, ça n’est pas vraiment de la création. Il faut y imposer la limite des chartes, du supérieur, des tendances, du client. Alors elle opte pour l’exécutif. Mais au fil de toutes ces années, une artiste grandit en elle. Il faudra attendre ses 27 ans : « Pendant des années, j’ai voulu peindre sans y arriver. J’effleurai mes feutres, je regardais mes tubes de peinture neufs, ça me faisait pleurer. Littéralement. J’étais bloquée », nous raconte-elle.
Au cœur d’une famille d’artistes, il n’est pas toujours simple de trouver sa place. « Ils ne m’ont jamais mis la pression. Mais moi toute seule oui. J’étais la petite dernière, endiguée par ses études de graphisme, qui se met à peindre alors que le grand-père et la maman font des trucs supers. Ce n’est pas facile ».
Une fois débloqué, ça explose. Au début, c’était une vraie thérapie. Aujourd’hui, elle en vit. « Je voulais trouver un système pour peindre dehors avec ma propre technique. Le pochoir te permet de faire quelque chose de rapide dans la rue. » Et d’ajouter en rigolant : « Je ne suis pas très téméraire dans la rue en pleine nuit. Je suis quand même une trouillarde ! » Encore un défi. Elle s’est déjà fait arrêter plusieurs fois, mais ça s’est toujours bien terminé. « On appelle ça la discrimination positive : je suis une fille, je suis blanche et je les accueille avec le sourire et l’humour. Quoi qu’il arrive il faut rester zen », dit-elle, consciente que ce traitement de faveur n’est pas réservé à tout le monde malheureusement.

De la photo au mur
En cherchant à travailler le pochoir avec un procédé unique, vient la fameuse technique des petits trous. Cet énorme travail de patience, « pour moi c’est une forme de méditation », raconte la reine des petits points. Mais comment fait-elle ? « Je prends une photo et je m’en sers comme un modèle. Je reproduis le visage au crayon sur une feuille grand format, mais seulement les grandes lignes. L’œil, le nez, la bouche, le début des cheveux. Et après, je viens travailler aux petits trous. Ils font les ombres et les lumières. Plus les trous sont rapprochés, plus c’est lumineux. Tout est question de distance entre eux, et non de taille des trous », nous explique LadyBug, pédagogue. Ainsi, elle fabrique le pochoir à l’aveugle. « C’est seulement au moment où je bombe que je découvre le rendu : et ça, c’est assez magique ! ».
Son premier grand format lui a été commandé par une agence d’architectes. L’intérêt du pochoir, c’est qu’il peut être reproduit plusieurs fois. Car si la pose est plutôt rapide, c’est bien souvent plus d’un mois de travail derrière une seule et même pièce. A l’époque, « mon sujet, c’était mon copain, qui est congolais », nous confie LadyBug, qui admire les visages africains : « J’ai toujours été attirée graphiquement par les visages d’origines africaines. C’est déjà un dessin. Je les trouve magnifiques. Ça m’inspire énormément. » Elle veut retranscrire la manière dont la lumière sculpte la peau noire. « C’est moi qui prend en photo des personnes de mon entourage en les éclairant d’une certaine manière pour accentuer le contraste entre l’ombre et la lumière. La façon dont lumière agit sur leur peau, c’est ça qui m’inspire et que je peins depuis cinq ans. C’est devenu mon univers. ». Conclut-elle, émue.

La transmission
« Les enfants ont cette magie là d’être moins bloqués que nous les adultes, ils se lâchent, sans filtre. Ils m’apportent beaucoup », confie Lady Bug. Après avoir animé des ateliers pour les enfants d’un village au Togo, puis au Bénin, elle donne des stages dans le quartier de la Bottière à Nantes, ou avec les jeunes migrants du SAMNA. Là où elle passe, LadyBug transmet l’art du pochoir. « Comment fonctionne la bombe, gérer la pression, la distance, la vitesse. Avec des outils très simples comme du scotch. Je les initie aux matériaux et à la notion de pochoir. Ce qui sert d’introduction à la notion d’abstrait et de figuratif. Au début ils sont septiques, puis à la fin ils ont la banane et ils repartent avec leur œuvre ! La notion de partage se fait vraiment dans les deux sens », raconte-t-elle, comme si elle y était, « tu vois, la transmission, ça me donne des frissons… »

Son nom d’artiste est à l’image de sa dualité.
Son nom d’artiste est à l’image de sa dualité. Lady d’un côté et Bug de l’autre. À la fois pouponnée – petite robe – talons et baskets – pas maquillée – pas coiffée. La jeune artiste fait en fonction de son humeur : « Je ne fais plus en fonction des gens, de l’événement. J’aspire à être le plus moi-même possible. » Mais LadyBug, c’est aussi un joli jeu de mot avec ladybug, la coccinelle en anglais, une référence incontournable aux points. « Cette petite bête qui porte bonheur en rouge et noir : « La femme insecte ». Et le grain de folie du « bug », toujours présent.

En savoir plus
De qui ferais-tu le portrait ?
Angèle. Son Insta : angeledessine. C’est une amie artiste que j’admire beaucoup. Elle est de Bordeaux et elle fera parti de mes artistes invités à la résidence artistique Golden Age, à partir du 16 septembre 2020 à Orvault. Un projet d’expo street art éphémère dans une maison de 400m2 !