Clémence, infirmière : “Je pense qu’on va porter des masques encore longtemps”
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Alors que près de 70% des travailleurs français sont actuellement en télétravail, les autres 30% doivent se retrousser les manches et sortir de chez eux pour vaincre la pandémie de Covid-19. Clémence, 30 ans, fait partie de ces 30%. Infirmière à l'hôpital de la Pitié Salpétrière, elle nous raconte ce qui a changé dans sa manière de travailler.

“Ma mère était infirmière. Petite, avec mon frère, j’allais la voir travailler. Elle nous présentait l’hôpital, ses patients – chose impossible aujourd’hui – et je pense que c’est cette découverte du monde médical qui a développé mon envie d’en comprendre la technicité, les machines, les soins et surtout de m’occuper de gens dans le besoin”. C’est au téléphone que nous menons cette interview. Clémence a une voix douce, rassurante et positive. On sent qu’elle a les pieds sur terre. Cette jeune femme de 30 ans est infirmière depuis neuf ans : “c’est un métier de vocation. Je suis très heureuse de le faire aujourd’hui. Je n’ai aucun regret”, ajoute-t-elle. 

Arrive alors le Covid-19, celui qu’on ne présente plus.

Clémence fait ses études dans le 20ème arrondissement de Paris, à l’assistance publique. Une fois terminées, elle commence à travailler à la Pitié Salpêtrière en neurochirurgie. Elle y reste quatre ans avant de devenir infirmière intérimaire : “Quand on est en intérim, on nous appelle souvent au dernier moment pour dépanner les services dans le besoin”, dit-elle, “tu te retrouves alors dans des services où tu n’as jamais été, que tu ne connais pas bien. Tu dois faire avec tes connaissances et réviser sans cesse”. Durant cette période, elle réussit tout de même à garder une certaine stabilité en travaillant deux ans en soins palliatifs. Accompagner les patients en fin de vie, c’est difficile : “c’est surtout de la prise en charge de douleurs pour que les patients puissent s’éteindre de manière sereine et confortable”, explique Clémence d’un ton pédagogique. 

Après cette période d’intérim, Clémence retourne travailler à la Pitié Salpêtrière en chirurgie digestive : “j’ai un rythme de nuit en 12h qui est assez compliqué à la longue, mais qui me plaît quand même. La journée, il y a beaucoup de bruit et d’agitation dans l’hôpital, tout le monde parle en même temps, les soins ne sont pas les mêmes… La nuit, c’est une autre fatigue. On a beaucoup de boulot, un peu moins technique peut-être, mais les patients ne dorment pas beaucoup, il faut donc gérer leurs angoisses”, raconte-t-elle. 

Arrive alors le Covid-19, celui qu’on ne présente plus. Clémence raconte : “les infirmières les plus âgées comparent ça à la canicule de 2003. Moi, je n’ai jamais rien vécu de tel. J’ai pourtant travaillé lors des attentats de novembre 2013, mais la période était beaucoup plus courte, et l’angoisse totalement différente”, se souvient-elle.

“C’était un peu flou pour tout le monde, on ne nous a pas tout dit tout de suite”

Mars 2020, l’hôpital passe en Plan Blanc. “On s’en doutait”, poursuit Clémence, “le Plan Blanc, c’est un état d’urgence où le personnel doit être à disposition de son hôpital dans un certain délai, normalement court”, insiste-t-elle. En toute logique, les infirmiers et infirmières disent au revoir à leurs repos et à leurs vacances. L’organisation n’a pas été très simple au début : “c’était un peu flou pour tout le monde, on ne nous a pas tout dit tout de suite, sûrement parce que même nos cadres n’en savaient rien. Puis, petit à petit nous avons commencé à recevoir des patients en suspicion de Covid-19. Au début nous en avions deux”, raconte Clémence tout en essayant de remettre de l’ordre dans la chronologie. Il s’est avéré que ces deux patients étaient bien atteints du Covid-19. Mais à l’origine, les symptômes étaient méconnus et difficiles à déceler : “c’était des patients qui entraient au bloc pour un tout autre problème, sans symptôme particulier. Quand un patient sort du bloc, il est tout à fait normal qu’il ait un peu de fièvre et soit fatigué. Pareil pour la toux, souvent causée suite à des intubations. On ne pouvait pas savoir si c’était le Covid ou non”, déclare-t-elle. 

Au fur et à mesure, le temps avance, l’hôpital se réorganise dans l’urgence : “on a reçu des patients avec des pathologies différentes, c’était un peu compliqué pour des collègues qui ne connaissaient pas bien certaines spécialités, ça a créé des angoisses”, explique Clémence. La peur de mal faire et de mal prendre en charge les patients est vite ponctuée par l’annonce du prolongement du Plan Blanc, jusqu’au 15 mai. Clémence décrit son ressenti et celui de ses collègues : “au début, on râle un peu, mais c’est aussi de l’adrénaline, et on fait ce métier pour ça !”. 

“[…] il a fallu construire des murs”

Les patients ne sont pas les seuls à être affectés à de nouveaux services. Les infirmières aussi doivent être mobiles : “un des points forts de cette crise, c’est que nous avons rencontré plein de collègues que nous ne croisions jamais. Des infirmières anesthésistes sont venues nous chercher, elles nous ont apporté leur savoir, tout le monde est resté très humble et l’ambiance était bonne”, ajoute-t-elle. Clémence parle au passé, mais la crise est encore bien présente.  

Puis, il a fallu construire des murs. Créer des chemins ponctués de sas pour soigner les patients Covid-19. Des salles de réanimation ont dû être inventées, en grignotant sur les salles de soins intensifs et sur les salles de réveil. “Petit à petit, l’hôpital Henri Mondor a ouvert une grosse salle de réanimation pour les patients Covid positifs, on a donc étayé et fermé une salle chez nous pour récupérer des patients non Covid”, explique Clémence. Elle ajoute : “tous ces changements de salles, c’est beaucoup de ménage, de déménagements, de désinfectant. Nous n’avons pas ce rythme normalement. On passe des journées entières à faire du ménage du sol au plafond, on déplace du matériel, c’est fatigant”. 

“Parfois, avec mes collègues […] on est au-dessus d’un patient, on a des sécrétions plein nos gants et nos blouses. On se dit “tient, ça c’est plein de Covid””

Concernant le matériel à disposition des infirmiers, nous avons entendu beaucoup d’informations contradictoires. Chaque hôpital a bien évidemment fait au mieux pour protéger la santé de son personnel, mais ça n’a pas été simple : “au début on nous disait que ce n’était pas la peine de porter des masques tout le temps, pour ne pas dire que nous n’en n’avions pas assez. On savait qu’on pouvait choper le virus à n’importe quel moment”, décrit Clémence. Il n’y a pas que les masques qui manquaient : “nous n’avions pas assez de surblouses. On nous demandait de garder la même toute la nuit…”, affirme-t-elle, “parfois, avec mes collègues on se regarde, on est au-dessus d’un patient, on a des sécrétions plein nos gants et nos blouses. On se dit : “tient, ça c’est plein de Covid””. Le personnel médical n’est pas testé, sauf si des symptômes alertent la médecine du travail. Certaines collègues de Clémence ont attrapé le Covid-19 : “pour elles ça c’est bien passé, c’était une perte du goût et de l’odorat, de la fatigue. Elles vont mieux aujourd’hui et sont de retour au travail. On avance, on fonce, et je pense qu’on va porter des masques encore longtemps”, ajoute-t-elle. 

Quand on demande à Clémence pourquoi elle a quitté son service et a été envoyée en unité Covid, elle nous répond : “du jour au lendemain, on nous a dit qu’il nous fallait plus de monde pour aider en réanimation. Nous n’en avions jamais fait pour la plupart. Les patients en réanimation ne sont pas faciles à gérer, il y a beaucoup d’appareillages et certains infirmiers ont peur de s’en occuper. Moi, j’en avais fait à l’école il y a presque 12 ans !”, s’exclame Clémence qui connaissait tout de même certaines technicités utilisées en soins intensifs. Elle poursuit : “intégrer le service réanimation était un projet que j’avais depuis longtemps, j’ai profité de l’occasion pour me lancer”. Cela fait maintenant un mois et demi que Clémence travaille au service réanimation pour des patients Covid-19  à l’hôpital. 

Le confinement est vécu différemment par les personnes qui travaillent en première ligne contre le virus. Pourtant, au début, Clémence était loin de s’imaginer l’ampleur que prendrait cette pandémie : “quand on en parlait en janvier, j’ai banalisé la chose. Je comparais ça à la grippe, je me disais que ça allait passer et que mon travail n’allait pas être impacté. Puis finalement, tout est allé très vite”, raconte-t-elle. “Je ne suis pas peureuse, je n’ai pas d’angoisses, mais quand je vois l’état de certains patients Covid-19, je comprends qu’il ne faut pas déconner”. Elle ajoute : “Ce sont des patients qui décèdent dans des conditions lourdes. Pour ceux qui survivent, la prise en charge a été pesante et longue et je suis certaine qu’il y aura des répercussions sur leur santé. Cette maladie te bouffe les poumons et attaque plusieurs organes. Pour certains patients, c’était… – elle s’arrête un instant – c’était très lourd”. Alors, quand certains amis de Clémence s’inquiètent de la chute de l’économie qui arrive, elle a du mal à comprendre : “pour l’instant, je ne vois que la souffrance, j’ai du mal à penser à l’après, je vis tout au présent”. 

Lorsqu’un patient atteint du Covid-19 se réveille de plusieurs semaines de réanimation, il est transféré dans un autre service : “on aimerait bien avoir des retours de certains patients qui se réveillent, connaître leur ressenti. Mais notre prise en charge s’arrête là, et c’est assez frustrant. Faut s’imaginer : on reçoit des patients en urgence dans des états critiques, on les endort, personne ne sait s’ils se réveilleront un jour, on leur fait des soins tous les jours, et d’un coup ils vont mieux, on enlève le respirateur. C’est touchant d’avoir un contact avec son patient, même si c’est juste oculaire. C’est touchant car on touche enfin au but. Ils vont s’en sortir, guérir.”, dit Clémence d’une voix souriante. 

Le peuple français est connu pour sa soif de sortie, de fête, de vie sociale et j’ai peur que le virus revienne”

Comme tout le monde, Clémence ne peut pas voir sa famille, ses amis, mais elle se considère comme chanceuse d’aller au travail : “c’est un peu une deuxième famille, on vit ensemble, on tient ensemble”, s’émeut-elle. Mais le déconfinement qui commence le 11 mai prochain lui fait peur : “on a tendance à beaucoup trop regarder les informations qui disent que le nombre de patients qui entre en réanimation diminue, ce qui est vrai. Mais les décès continuent… Le peuple français est connu pour sa soif de sortie, de fête, de vie sociale et j’ai peur que le virus revienne”, explique-t-elle. Pour l’instant, sans vaccin, avec une immunité collective discutable, sans traitement efficace, elle a du mal à imaginer un retour à la normale et pense que le système médical va être fragile jusqu’à la fin de l’année. 

En ce qui concerne la gestion politique de la crise, Clémence est plutôt positive : “on peut toujours mieux faire. Ici, on ne pouvait rien prévoir à l’avance, il n’y a pas de plan parfait dès le début. Je trouve qu’on ne s’en sort pas si mal, ça a été fait petit à petit car aucune mesure brutale ne serait passée auprès des français. La seule chose pour laquelle je leur en veux c’est de s’être moqué de nous en nous disant de ne pas porter de masques. Je compte maintenant sur eux pour être stricts lors du déconfinement, et sur la population pour respecter les règles d’hygiène”, conclue-t-elle.

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La question Fler :
De qui ferais-tu le portrait ?

Ma maman.

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