Julien Raynaud : “Ma vie a commencé quand j’ai découvert la peinture”
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Sur ses toiles au style cubiste, Julien Raynaud, peintre autodidacte marseillais raconte des histoires. Des formes géométriques, des couleurs comme symbole de vie et d’espoir. Ses personnages s’emmêlent et s’entremêlent sous le trait ultra précis de son pinceau. Rencontre avec un artiste singulier.

On reconnaît ses toiles parmi mille. New York, Los Angeles , Nouvelle Calédonie, Paris, Monaco, Hong Kong, son art a été exposé aux quatre coins du monde.  Nous le retrouvons dans son atelier à quelques minutes de la Canebière. Au fond d’une cour d’immeuble, on pousse la porte d’un garage . C’est ici, entre les pinceaux et les toiles, que se vident les pots de peinture . C’est ici, que Julien Raynaud s’exprime.

Il n’entre pas dans les cases.

Julien grandit dans la banlieue marseillaise. Petit déjà, il n’entre pas dans les cases. Gardé dès son plus jeune âge par par ses grands-parents sourds et muets : « C’est la génération où ils ne voulaient pas dire qu’ils étaient handicapés car ils voulaient qu’on agisse avec eux comme avec n’importe qui. Contrairement à mon père, ma soeur et moi ne parlions pas le langage des signes, ils lisaient sur nos lèvres. On se comprenait, et ça créé un lien encore plus fort. Parfois, les regards en disent bien plus que les mots. Comme ils m’ont beaucoup gardé petit, j’ai toujours eu du mal à m’exprimer avec les mots… ». En évoluant dans cet univers, Julien a développé une vraie sensibilité, une tolérance aussi. Enfant rêveur, passé par la case grapheur, à l’école il passe son temps à regarder par la fenêtre et dessiner quand il faut prendre des notes. Celui que l’on appelle l’artiste, alors qu’il ne dessine pas encore, enchaîne les petits boulots jusqu’à trouver une place fixe, mais dans un univers qui ne lui correspond pas.

« J’avais un appart, un boulot, je faisais un peu de musique, mais il manquait quelque chose, je n’arrivais pas à m’exprimer pleinement », se souvient Julien, qui à ce moment là essaie alors d’apprendre l’Art du tatouage. Cette nouvelle lubie le replonge dans le dessin, il s’entraîne. Jusqu’au jour où il il essaie de reproduire une sculpture qu’il a devant les yeux. Il se loupe, barre la feuille, voit une forme géométrique qui l’intrigue, en fait une deuxième, et rencontre alors les futurs personnages qui peupleront ses toiles. «Un ami m’a apporté une toile vierge, j’ai refais ces formes et ça m’a donné un personnage. Et tout ce que j’avais à l’intérieur de moi sortait enfin». Alors, il s’est dit : « Tout ce qu’il y a autour de moi, je vais le transformer à ma manière ».

Son amie de l’époque lui propose de tout quitter pour trois mois à Los Angeles. A peine arrivés, les rencontres le poussent sous les feux de la rampe. Amie d’amie, une femme lui dit en voyant une simple photo de ses esquisses, qu’il comptait garder pour lui : « C’est super, j’organise une expo à Los Angeles dans un mois, j’aimerais que tu y participes ». Il n’a alors ni peinture, ni atelier, mais il dit : « ok ! ». Il fera ses premières toiles au spray . De cette toute première exposition, les portes s’ouvrent. Enfoncées au culot parfois, les unes après les autres. « Un artiste diplômé d’une grande école d’Art me parle du Los Angeles Downtown art walk : un jour par mois, les gens font le tour de toutes les galeries de LA. Il me dit que je n’arriverais pas à entrer dans une galerie, mais que je devrais tenter dans un restaurant. J’ai contacté des galeries, il y’ en a une qui m’accepté et finalement c’est lui qui a fini dans un restau ! »

Pour son grand-père, qui rêvait de faire les beaux-arts, il a tout donné.

De l’autre côté de l’Atlantique, il apprend la mort de son grand-père. C’est un choc. Il veut rentrer pour l’enterrement, mais son père lui dit : « Si tu rentres, tu ne pourras pas revenir, pour lui, donne le meilleur ». C’est ce qu’il a fait, pour son grand-père, qui rêvait de faire les beaux-arts, il a tout donné, la rage au ventre. Et c’est là, que tout a commencé. « Quand j’ai appris sa mort, c’était chaotique, je me sentais seul au monde à Los Angeles. Il fallait que je sorte ma douleur , j’ai fait une toile avec des couleurs très foncées. En la regardant, je me suis dis que je ne pouvais pas laisser ça comme ça, ça me rappelait trop de souffrance. Alors, j’ai pris les couleur les plus vives et joyeuses possible. J’avais besoin de croire en l’espoir de ce qui allait m’arriver de bien par la suite. Et pour la première fois, il y a eu cette notion de transformation de la réalité vers quelque chose de positif. Et c’est ce qui fait mon travail depuis cette période. Quand je traite un sujet, même fort, la personne qui le voit ne voit que le positif ».

La peinture comme media

C’est à travers cet art qu’il s’exprime le mieux : « Rien n’était impossible. J’allais m’exprimer et on allait m’entendre, j’allais enfoncer les portes ». Sur sa lancée, Julien envoie son dossier à la Raw Artists expo de New York , pour postuler à une exposition. Il est pris.

Mais une fois rentré en France, c’est difficile , il ne connait personne dans le monde de l’art. Jusqu’au jour où il rencontre une galeriste de Marseille, qui aime son travail et lui donne sa chance. Il est ensuite sollicité par plusieurs galeries. Si Julien travaille par séries, il propose également via ses galeries de faire des commandes privées. « Dans ce cas là, j’ai besoin que les personnes me parlent de leur vie, je garde les moments qui m’intéressent et me touchent et je retranscris cela sur toile, à ma manière. C’est une sorte de collaboration entre la personne qui me commande la toile et moi. Si je n’ai pas de feeling, je ne peux rien faire ».

Ça donne par exemple, des souvenirs super sympas comme une dame qui voulait faire une surprise à son chéri :« J’ai pour habitude de poser quelques questions afin d’apprendre à les connaitre, la première a été : Comment vous vous êtes vous rencontrés ? ”En fait, nos amis en commun nous appellent la belle et le clochard, parce que pour notre premier rendez vous , j’avais fait des boulettes de viandes et des spaghettis…”  J’ai tout de suite pensé, j’aime tellement cette histoire qu‘il faut qu’on la mette sur toile ». Sur le chevalet, deux personnages à la Raynaud partagent un plat de pâtes face à la mer.

Derrière ses personnages ou formes géométriques, lignes noires, transparences et couleurs s’entremêlent, Julien Raynaud raconte des histoires. Des instants passés, des histoires d’amour ou d’amitié, de joie, ou encore de fraternité.

Pour Julien, sa plus grande inspiration reste les vitraux. Il sait aussi apprécier des peintures de George Briata ou Pierre Ambrogiani, en passant par celles de Botero ou encore Fernand Leger. Aujourd’hui, le jeune marié puise sa créativité dans sa sensibilité : « Le positif il est là, il faut juste apprendre à le voir », dit-il.

Sa vie a commencé quand il a rencontré la peinture.

Il y a quinze ans, il s’exprimait sur les murs. Le lettrage l’a poussé vers la peinture. « Je n’ai jamais été un vandale. Très vite, je suis tombé amoureux du travail en atelier. Il y a ce truc inouï d’être dans sa bulle ». Néanmoins, le jeune marié a des horaires de bureau : « Je me calque sur l’emploi du temps de ma femme, ça me permet de garder une vie sociale normale sans être déphasé, je fais plus ou moins du 9h – 19h ». Autrefois caissier, manoeuvre sur les chantiers, ou encore intérimaire dans les usines, sa vie a commencé, dit Julien, quand il a rencontré la peinture.

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La question Fler :
De qui ferais-tu le portrait ?

Ma sœur et ma femme. Je les admire beaucoup toutes les deux. Ma soeur nous a tous un peu sauvé, elle a amené un air frais. De part ses voyages et son incroyable courage, elle m’a appris à dépasser mes limites et m’a montré que dans la vie quand on veut on peut. Et ma femme, elle n’a pas eu un parcours de vie facile et je suis très fière d’elle aujourd’hui.