Au lendemain de la représentation, nous retrouvons Anaïs aux Cents Kilos, à Saint Ambroise dans le 11ème arrondissement de Paris. Entre les odeurs de café et les bruits de rue, nous faisons la connaissance d’une femme à la voix douce, un peu réservée. Anaïs a 31 ans. Les traits fatigués par la représentation de la veille, elle commence à nous raconter son histoire, café crème au bout des lèvres. Angevine d’origine, la petite Anaïs ne se voyait pas forcément devenir comédienne. Avec un père travailleur du vin et une mère aide-soignante, elle ne baignait pas dans ce monde : “J’avais 10 ans quand ma mère m’a inscrite au théâtre. J’étais très timide, elle pensait que cela allait m’aider”, explique t-elle. Les années passent, le théâtre reste. Elle suit ses copines à Besançon, avant de s’inscrire dans une école de théâtre à Paris : “L’école avait des côtés positifs et négatifs. On n’allait pas voir beaucoup de spectacles, on ne regardait pas vraiment ce qui se passait autour de nous; dans la vraie vie”.

Pour certains, les écoles de théâtre préparent à entrer dans ce monde fermé, tout en apprenant les fondamentaux. Pour Anaïs, c’était différent : “ Contrairement aux autres élèves, l’école m’a plutôt appris à me débarrasser de mes angoisses, de mes problèmes de légitimité, de confiance… Il y a des gens qui font du théâtre et qui n’ont pas de problèmes à régler, mais moi j’ai mis beaucoup d’années à me libérer de tout ça”, déclare-t-elle.
Notre comédienne est ancrée dans le monde d’aujourd’hui et donne beaucoup d’importance à la vie. Le manque de “réalité” dans le monde du théâtre a toujours été un frein ne lui permettant pas de s’investir entièrement. C’est aussi ce qui l’a poussé à créer la pièce Quelque chose suit son cours : “ça me tenait à coeur. J’ai réuni des copines et pendant deux ans, on a enregistré tout ce qui nous parvenait à l’oreille. Des gens dans un bar, dans un parc, des conversations volées… On était comme des photographes de rue qui saisissent un instant, sauf que l’on ne capturait pas l’image mais le son”, nous raconte-t-elle avec enthousiasme. Elles ont récolté plus de 300 morceaux de son et ont créé un spectacle sous forme de battle où les comédiennes dialoguaient avec les sons de la rue, via des tablettes. Du théâtre expérimental, ancré dans son temps et qui fait parler les gens, les vrais.
“Je voulais m’installer en Bretagne, près de la mer”

Après son séjour parisien, Anaïs s’installe à Lyon. Toujours attachée à sa compagnie de théâtre de Besançon, elle s’investit dans le Festival des Caves. Elle rencontre le metteur en scène Charly Marty avec qui elle monte la pièce de Serge Kribus : Le Mur Monde. Serge y a assisté et a rapidement repris contact avec Anaïs pour monter une nouvelle pièce. En attendant, Anaïs décide de quitter Lyon : “Je n’étais pas très fan de Lyon, c’est une grande ville et c’était difficile de se faire un nom, de se démarquer. J’ai testé plein de trucs, mais je ne voulais pas y creuser mon trou”, dit-elle. Au fond d’elle, Anaïs avait une idée : “Je voulais m’installer en Bretagne, près de la mer. J’y vis 6 mois de l’année, donc je voulais un endroit chouette”, explique Anaïs, sourire aux lèvres. La Bretagne s’est avérée être le lieu idéal pour rencontrer des personnes qui n’ont rien à voir avec le monde du théâtre. Elle y trouve un nouveau rapport avec l’autre, un rapport qui lui manquait dans son métier.

De Bretagne, elle travaille toujours avec sa compagnie bisontine, mais commence à répéter avec Serge Kribus la pièce Clara Haskil, prélude et fugue. Il s’agit d’un seule en scène. En une heure quarante-cinq, l’histoire de Clara est contée par Anaïs, incarnant parfaitement le personnage. C’est justement au Festival des Caves qu’une première version est présentée. Puis en Belgique. Anaïs n’en est pas à son premier seule en scène : “J’en avais déjà fait plusieurs durant le Festival des Caves. Les espaces étaient petits donc nous étions généralement à deux ou seul à jouer les pièces”, nous explique-t-elle.
Serge ! , “une sacrée rencontre”, nous dit la belle Anaïs, reconnaissante. Il a fallu deux mois de répétition pour réussir à transmettre au public l’émotion voulue : “C’était un véritable partenariat entre Serge et moi. Serge a du caractère, il sait ce qu’il veut, mais il est plutôt ouvert et nous avons fait évoluer la pièce ensemble”, raconte la bretonne d’adoption, émue. “Avant-hier j’ai joué la pièce et il n’y avait aucune réaction dans le public. Au bout d’une heure, je me suis même demandé s’il y avait encore des gens dans la salle”, dit-elle en rigolant, “mais au fond, j’entendais le rire de Serge, et ça me rassurait”.
“Ma mémoire, c’est un muscle que j’entraîne.”
Ce silence dans la salle s’explique par l’intensité du jeu de l’actrice. On se demande : comment peut-elle retenir autant de texte ? “Je ne sais pas cuisiner, je ne sais pas courir un kilomètre, mais je sais apprendre un texte. Ma mémoire, c’est un muscle que j’entraîne. Au fur et à mesure du temps c’est de plus en plus simple”, dit-elle. Cette facilité de mémorisation lui permet de se focaliser sur son jeu : “Je ne connaissais pas Clara. C’est un personnage incroyable qui n’a jamais trahi son intuition ni son amour du piano. Elle n’est jamais tombée dans les mondanités et ça lui a servi… et desservi”, ajoute la comédienne. Clara l’inspire. Elle compare le parcours de la pianiste à celui de Nina Simone : “Nina Simone me fait penser à Clara Haskil dans certains traits. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi vivant et présent à chaque instant de son jeu. Elle est totalement là, elle n’est qu’interprétation, elle n’est que vie. Elle me bouleverse totalement”, s’émeut Anais.

“Je n’ai pas de grands projets, mais ça me va bien comme ça”. Même si Anaïs adore jouer, qu’elle y prend un “plaisir fou”, elle n’est pas attachée à ce qui entoure le monde du théâtre : “Les relations humaines et professionnelles sont plus difficiles pour moi. Je ne fais pas de généralités, mais c’est un monde où les gens ont un ego assez puissant et j’ai un peu de mal à gérer ça”, sous-entend-elle. La jeune fille timide ne veut pas forcer sa place dans un monde où il faut se vendre constamment. Elle nous parle de l’importance de sortir de ce cercle et, de nouveau, de capter les moments de vie : “J’avoue que je ne vais pas beaucoup au théâtre. Je préfère aller pêcher des palourdes”, conclut-elle en rigolant.
