Il y a un an, la Hip Opsession faisait escale dans le quartier nantais des Olivettes à la galerie Pol’n. Sur le sol en béton brut, les danseurs se succèdent et s’affrontent. Mon regard se pose sur les mouvements aériens de l’un d’entre eux. Il ne danse pas comme les autres. Autour de lui, plus rien ne semble réel. Il s’oublie à la musique. Tout son corps tape et balance en rythme. Je ne le lâche plus des yeux. Ses cheveux longs et bruns ondulent, comme lui, sous son kimono fleuri en satin fluide qui reste dans les airs.
– « Enchantée, tu danses incroyablement bien. Comment t’appelles-tu ? »
– « Amine ». Répond la voix douce et grave.
Quelques mois plus tard, quand on retrouve Amine à Paris, il sort tout juste de l’hôpital. Il vient d’être papa d’un petit Aghiles avec Lara Laquiz. Comme une évidence, on lui demande : « Tu as dansé pendant l’accouchement ? » Comme une évidence, il nous répond : « Bien sûr. J’ai dansé dans la salle d’accouchement en l’attendant ».
Amine est beau. Le regard persan, le corps athlétique, les traits fins. Une gueule de mannequin et ce don pour la danse. Des atouts qui le font enchaîner les contrats. Egérie de la dernière campagne de publicité Louboutin, il est choisi pour danser à l’anniversaire de Madonna. De nature gentille et bienveillante, Amine reste lui-même face aux plus grands : « Justement, Les gens comme Madonna ont besoin qu’on leur parlent naturellement, comme s’ils étaient normaux », dit-il.

Bercer par les contrastes de Casablanca
Amine grandit à Casablanca. Dans les années 90, le Maroc connaît beaucoup de crimes. Très jeune, il déménage dans un quartier dangereux de Casa. « On a vécu dans la peur », se souvient celui qui contrairement à ses frères et sœurs, du haut de ses 5 ans, s’est très vite adapté à cette nouvelle vie : « J’ai décidé de prendre tous les côtés positifs du quartier et de l’intensité de cette ville ». Lassé par le football, Amine apprend la danse dans la rue. « Je voulais tenter des trucs. J’allais dans des festivals de rock, de métal… Je pouvais m’habiller en métalleux, danser du hip-hop et faire du skate. J’aime tester. Et un jour, la danse a pris le dessus ». Avec ses amis, Amine loue des sous-sols de cafés pour s’amuser. A l’époque, ils ne peuvent pas sortir le soir, et les filles doivent rentrer avant 19h, alors ils font la fête l’après-midi. Et il danse. Encore.

Arrivée en France
Après son Baccalauréat, l’élève prodige arrive en France. Il rejoint sa sœur qui y fait déjà ses études. Amine débarque à Lorient pour suivre ses traces et suivre la formation censée lui convenir : un DUT qualité logistique industrielle. « C’était l’opportunité de découvrir un pays ». Au Maroc, pendant les vacances, ils rentraient systématiquement voir la famille à la montagne. Là, Amine compare : « Les coutumes, les cultures, les connaissances des gens. J’avais un Visa Schengen, je pouvais voyager partout en Europe ! Rencontrer des gens est devenu mon nouveau hobby. C’était ma révélation du voyage ».
La France, école de danse
La France étant assez réputée pour le hip-hop, Amine en profite pour développer ses connaissances dans l’art qui le fait vibrer. En dehors des cours, il sautille, se balance, danse. Jusqu’au jour où le directeur du DUT en personne lui dit : « Ecoute Amine, si tu veux faire ta vie autour de la danse ou de l’art, tu sais qu’il y a des formations qui existent ». Ces paroles résonnent comme révélation, une révolution. « Je ne savais même pas que ça existait ! On n’avait pas ça au Maroc… »

Tout pour danser
Sa rencontre avec Leila de Sagazan, qui a fait une formation de danse à Lille, le convainc. Dans la foulée, Amine se retrouve confronté à l’administration française. S’il veut changer de voie, il est contraint de rentrer dans son pays natal pour faire les démarches. Décidé, il rentre au Maroc. Mais là-bas, ce n’est plus l’administration française, mais l’incompréhension de ses parents qui fait front. Mais Amine a la niaque. Pour se faire une place, il enchaîne les petits boulots, toujours dans le domaine artistique. Toutes les portes sont bonnes à être poussées. Il danse dans les boîtes de nuit, dans les bars, à la télé. Voyant que son fils est sérieux et déterminé, il obtient le soutien de sa maman. Après une première demande de Visa refusée, il faudra trois ans à Amine pour insister et arriver enfin à Lille III, en Licence Art Etude en danse. Issu de discipline hip-hop, lui ne va pas au « Ballet du nord », mais s’entraîne rue des arts à « Dans la rue la danse », une des plus vieilles écoles. Sa deuxième année à peine terminée, on lui propose d’enseigner. Alors, « Le soir, je donnais des cours à mes collègues de fac », raconte Amine, le sourire humble. Aujourd’hui, il n’est qu’en troisième année, et pourtant complètement ancré dans le monde professionnel.
Dans la peau
Amine a toujours dansé. C’est en lui. Quand il est triste, heureux, angoissé, toutes les sensations, les émotions et les sentiments stimulent ses pulsions rythmiques. D’origine berbère, il est né avec la culture de la fête et des instruments tout autour de lui. A 16 ans, il commence à faire des battles et des auditions. Mais sa vraie rencontre avec la danse, c’est le Ahaidous. La danse traditionnelle berbère se pratique coude à coude, au rythme des allouhs, sorte de tambourins, sous les sons des chants berbères et des youyous. Se succèdent naturellement en chœur piétinements, tremblements et ondulations. Les percussions dans la peau, Amine a évolué. Du break à la danse debout en passant par le Krump, une danse plus agressive mais dans laquelle il peut plus facilement exprimer ses sentiments. « C’est une danse de l’âme. Elle peut paraître agressive à cause des grimaces ou de l’intensité dans les muscles, mais en fait, c’est une danse joyeuse, inspirée de la danse africaine », explique le passionné. Son entraînement ? Les événements. « A l’anniversaire de Madonna, j’ai mis une musique et j’ai improvisé. C’était un entraînement intense ».

Faire danser la mode
La danse aérienne, c’est aussi son côté amoureux de la mode. « Paris m’a ouvert des portes». Repéré par la chorégraphe des aventures d’Aladin, au début, Amine prend ça comme un compliment. Puis, inscrit dans l’agence WeDance, il fait fureur. « Mes cheveux longs, ça m’a ramené beaucoup de boulot en tant que modèle, donc c’est pas mal », ironise-t-il sur sa coupe.
Entre Paris et Lille, il gère son emploi du temps de ministre pendant que le monde de la mode se l’arrache. Fashion Week 2017, Jean-Paul Gaultier, Louboutin, les 60 ans de Madonna, Caftan 2018 sur la thématique des ethnies… Amine aime mêler l’art à l’allure : « Je préfère être artiste en collaboration avec la marque que simple porte manteau », il éclate de rire avant de poursuivre : « Mais ça ne me dérange pas de temps en temps, si j’aime la marque et ses créations. Avec Jean-Paul Gautier par exemple, j’ai fait l’ouverture du show, mais pas plus, car je ne suis pas d’accord avec ses valeurs. Et je me suis fait une promesse : ne jamais faire quelque chose pour l’argent ».
Ambassadeur de la culture berbère
Chorégraphe pour l’édition Caftan 2018 sur le thème des ethnies, Amine a dû apprendre les danses africaines à des danseurs européens, un premier pas vers la transmission loin d’être anodin. Son rêve ? Créer un centre multiculturel, pour peindre, faire de la musique, méditer, permettre aux gens d’essayer des choses. Amine se bat pour ses racines berbères. « Je n’ai pas eu la chance d’apprendre la langue berbère, car cette langue est mal vue dans les grandes villes », raconte celui qui appela son fils Aghiles : « Le lionceau, le félin qui vit dans la montagne », en berbère ancien. C’est un fait, les jeunes s’éloignent de plus en plus de leur culture pour aller vers la mondialisation, que ce soit dans la musique, le vêtement… Amine est fier d’avoir pu apprendre la percussion, quelques chants et la signification des tatouages. Mais aujourd’hui militant, il réalise : « La dernière génération, c’était celle de ma grand-mère. On voit disparaître une identité ». Il y a encore une gêne de parler, de s’assumer, d’écouter de la musique berbère. « J’aimerais utiliser tout ça de manière contemporaine, expérimenter pour militer ». Dans la danse Butoh, issue du Japon, qui a évolué après la guerre, les artistes cherchaient une nouvelle identité dans un pays détruit… « Cette histoire m’inspire pour créer la même chose avec la culture berbère au Maroc. Je ne cherche pas la beauté, je cherche la vérité ».
