L’endométriose, un combat au-delà du mythe de la fertilité
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A 28 ans, Amélie, chargée d’affaires innovation dans un cabinet de conseil en financements publics, est atteinte d’endométriose. Selon EndoFrance, cette maladie chronique touche une femme sur dix. Pourtant, l’endométriose reste une souffrance invisible dont on ne parle que trop peu.


L’endométriose, c’est quoi ? L’endométriose, c’est un dysfonctionnement de l’utérus. Dans un cycle ovarien, à l’intérieur de l’utérus, il y a de l’endomètre. C’est ce qui permet au bébé d’être dans un petit cocon. Donc une fois par mois, quand on n’est pas fécondée, l’endomètre se déverse sous forme de règles, c’est du sang quoi. L’endométriose lui a emprunté son nom. Lorsqu’on est atteinte d’endométriose, au lieu de rester dans l’utérus, cet endomètre se propage dans les autres organes autour, sous forme de masses de cellules non cancéreuses. Ces nodules se nichent dans les organes et pendant les cycles, ils gonflent à l’intérieur, comme s’ils gonflaient dans l’utérus chaque mois. Ils peuvent se répandre partout.

« Au début, c’était uniquement dans mes ovaires, puis ça s’est propagé à mon tube digestif, sous l’estomac et au niveau du diaphragme. Mes kystes sont hémorragiques, donc provoquent des saignements et créent ce que l’on appelle des adhérences, c’est à dire qu’ils collent les organes entre eux. Quand je me fais opérer, ils doivent non seulement enlever les boules de nodules d’endomètre à l’intérieur des organes concernés, mais aussi décoller les organes qui sont soudés entre eux. Ils coupent plein de petits nerfs, c’est très douloureux », raconte d’emblée Amélie, atteinte au stade 4 avancé d’endométriose.


 

Derrière le sourire d’une jeune femme forte et indépendante, Amélie combat les maux, physiques et moraux, depuis 8 ans. A peine remise de sa troisième opération, la lyonnaise d’origine Franc-comtoise s’est confiée à Fler Culture. Elle nous raconte comment elle met sa vie sur « pause » tous les trois ans et fait chaque jour le deuil d’une vie normale. Un témoignage poignant, sans filtre.

« Plus jeune, je loupais les cours une fois par mois. Je faisais déjà un bonnet C avant le collège, j’ai eu mes règles à 12 ans, elles ont toujours été abondantes et douloureuses. A l’époque, j’étais suivie par mon médecin traitant, un médecin de campagne. Pour lui, c’était juste des règles douloureuses. Il me prescrivait des Spasfons, des Dolipranes et ça n’allait pas plus loin… Je me suis habituée à vivre comme ça, en me disant que c’était la vie, en intégrant que période de règles = souffrir. J’ai compris bien plus tard que ce n’était pas normal d’être clouée au lit deux jours par mois, sans pouvoir se lever.

« Et puis, ça ira mieux quand vous aurez des enfants ! »

Mes parents sont super croyants, donc je ne pouvais pas trop parler de sexualité dans ma famille. Pourtant, j’ai commencé à être sexuellement active tôt, à mes 13/14ans. Je me suis documentée au planning familial et au sujet des douleurs, j’avais le droit au même discours : « On va trouver une pilule qui vous soulagera, normalement vous aurez moins mal au ventre. Et puis, ça ira mieux quand vous aurez des enfants ! » C’était établi, sans solution, il fallait vivre avec.
Alors, j’ai testé pleins de pilules, ça n’allait jamais. Trop de pertes, trop de sang, trop mal, trop de boutons… Aujourd’hui, je me rends compte que toutes les pilules que j’ai prises sont interdites à la vente. Je me demanderai toujours s’il y a un lien. A l’époque, j’avais mal une fois pendant ma période de cycle, puis au fur et à mesure tout le cycle. Et pendant les rapports, énormément. A la fin de chaque rapport je faisais comme des hémorragies. Je perdais du sang pendant des heures, des jours parfois, je ne pouvais plus me lever, je vomissais de douleur.

• Pas « normal » d’avoir mal •

Jusqu’au jour où mon ex me refile la chlamydia, une MST, qui à terme, bouche les trompes. Sauf que je ne le savais pas encore, mais j’avais une endométriose. Résultat, j’ai eu des règles pendant un mois entier, puis deux. J’étais faible, anémiée, je me suis alarmée. J’ai changé de médecin traitant et suis allée à Lyon, où j’étudiais. Lui, m’a enfin prise au sérieux. Pour la première fois depuis mes 12 ans, j’ai entendu : « Ce n’est pas normal que vous souffriez comme ça, que vous ayez cette vie là, on va faire ce qu’il faut pour que vous alliez mieux ». J’avais 20 ans.

En France, la moyenne pour diagnostiquer une endométriose est de 10 ans. Je me souviens très bien du jour où la gynéco m’a fait un frottis avec échographie. Elle a dit : « Ah oui, ça ne va pas du tout, vous avez de grosses masses au niveau des ovaires, je ne sais pas ce que c’est… » J’ai tout de suite pensé cancer. Sur chacun de mes ovaires, mes kystes faisaient 6cm sur 8cm. Ils étaient énormes. J’avais ça depuis plusieurs années et tout le corps médical se demandait comment j’avais fait pour tenir autant de temps avec des douleurs insoutenables comme celles-ci. Je suis sortie en pleurant. Les résultats tombent : J’ai une endométriose au stade 4 avancé, le pire. Celui avec 100% de chance de récidive. Celui où, tous les trois ans tu repasses sur la table. Au début, je n’en n’avais pas conscience, heureusement, j’étais jeune. Je me suis fait opérer, j’étais contente. Mais aujourd’hui, à ma troisième opération, je l’ai bien intégré : Ma vie sera comme ça.

• Sujet tabou •

C’est une « maladie de femmes », alors c’est plus facile d’en parler avec sa mère. Beaucoup d’hommes ne comprennent pas comment les femmes sont faites. Et puis, parler de règles, d’ovaires, d’utérus, de sexualité à mon père, sachant qu’il est pasteur, c’était hyper compliqué. Heureusement, mon frère s’est énormément intéressé au sujet. Il a eu une démarche très scolaire. Il regardait des reportages, lisait des articles. Comme j’étais en conflit avec mes parents, qui quand ils ne comprennent pas, sont en colère, mon frère faisait tampon. Le déclic pour mon père a été des années après. Quand il a lu le témoignage d’une fille qui expliquait son quotidien avec l’endométriose. Il a pleuré. Et il s’est excusé.

Dans cette maladie, ce qui change tout, c’est le moment où l’on te croit.

Je me suis fait opérer la première fois à Montbéliard, pour être proche de ma famille. Mais le spécialiste de l’endométriose est à Lyon, le docteur Dubernard, chirurgien gynéco à l’Hôpital de la Croix Rousse. Alors, depuis ma deuxième opération, c’est lui qui s’occupe de moi. C’est le jour et la nuit. C’est sa spécialité, donc on parle le même langage. Quand je l’ai rencontré, ça m’a fait bizarre de ne pas avoir à me justifier. Dans cette maladie, ce qui change tout, c’est le moment où l’on te croit. C’est super important de trouver une personne de confiance. Aujourd’hui, mon médecin traitant gère tous mes rendez-vous. Je rencontre tellement de spécialistes, de médecins, de chirurgiens, d’hôpitaux, de cliniques… Il faut que j’aie quelqu’un qui fasse le lien avec tout ça, parce que sinon je ne m’en sors pas. Il me suit réellement.

• Vieille avant l’heure •

En général, il me faut à peu près trois mois pour me remettre d’une opération. J’ai l’impression que c’est de plus en plus long, je vieillis. L’opération consiste en une cœlioscopie et une laparoscopie. Ils me font des trous de chaque coté du ventre, font gonfler mon ventre avec du gaz, passent des tiges avec des petites pinces crocodile au bout. Et ils opèrent comme ça, avec la caméra à l’intérieur. Dans ce cas-là, ils n’ouvrent pas entièrement. Mais pour ma part, c’est tellement atteint qu’ils finissent toujours par me faire une ‘laparo’. La laparo, c’est quand ils ouvrent tout le bas du ventre. Juste au-dessous du sous vêtement. Ils me rouvrent à chaque fois au même endroit.

J’ai réalisé à quel point la femme était régie par les hormones.

L’opération terminée, ils me font ce qu’on appelle une ménopause artificielle. En gros, il faut arrêter ton cycle. Car quand tu as de l’endométriose, le fait que tu aies un cycle normal propage l’endomètre dans tes autres organes. Pour éviter ça, j’ai des piqures d’hormones tous les vingt jours pendant plusieurs mois. Et qui dit ménopause, dit les symptômes qui vont avec. J’ai faim, pas faim, j’ai soif, pas soif, je pleure, je ris, je grossis… Avec ça, j’ai pris 20kg en un an. C’était l’enfer. J’ai réalisé à quel point la femme était régie par les hormones. Ne serait-ce que par rapport à mon humeur. Cette période dure quelques mois, ensuite ils te mettent un implant, une pilule spéciale qui coupe les règles, ou alors, comme moi, un stérilet hormonal.

• La douloureuse •

La douleur, elle est facile à expliquer : Tu es blessée dans ta chair intérieure. C’est comme si ton ventre était ouvert, tes organes à vif, quelqu’un arrive et donne des gros coups de poing dans tes organes, les déchire. C’est vraiment atroce comme sensation. La gestion de la douleur n’est pas simple. Exit les Spasfons et les Dolipranes, ça ne fait strictement rien. On me prescrit du Tramadol. C’est un médicament assez fort, de la famille des opiacés, qui provoque une accoutumance. Il ne faudrait pas en prendre trop ou trop longtemps. Or, ça fait des années que j’en prends très régulièrement, car il n’y a que ça qui me calme.

Le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de traitement pour l’endométriose. C’est une maladie chronique qui ne se guérit pas… Alors j’essaye de trouver des alternatives, de privilégier les médecines douces. Je prends du CBD sous forme d’huile, ça me relaxe. J’essaye la respiration, la méditation, le yoga. Au niveau de l’alimentation, je mange moins de lactose, de gluten et de viande. Je suis obligée de m’y intéresser, de me documenter, de trouver ce qui me va et ne me va pas pour créer ma propre hygiène de vie. Car personne ne nous aide en ce sens. Je deviens médecin malgré moi.

• Maladie invisible •

Ça fait un an seulement que je le dis : j’ai une maladie. Avant, je disais j’ai des problèmes de ventre. C’est dur à intégrer, mais c’est une maladie. Même si elle n’est pas reconnue à juste titre. On n’est pas considérées comme travailleuses handicapées par exemple. Pourtant je vis avec et tous les jours, j’ai mal, je prends des anti douleurs, je suis arrêtée une fois par mois. Ça mérite d’évoluer. Au début, mes médecins inscrivaient sur mes arrêts : maux de ventre ou problèmes pelviens. Maintenant, sur tous mes documents officiels il est écrit « endométriose ». Ils m’ont expliqué qu’ils le mettaient pour sensibiliser la Sécurité Sociale au problème.

Tout le « problème » de cette maladie, c’est qu’elle ne se voit pas. Si j’étais en fauteuil, si j’avais un plâtre, une minerve… Les gens verraient que je suis malade. L’endométriose, c’est à l’intérieur. Alors les gens me voient super en forme et le lendemain je suis absente pour arrêt maladie. Ils ne comprennent pas, se disent que je me fous de leur gueule. Sauf qu’en fait, j’étais clouée au lit, j’ai gerbé toute la nuit, et pris je ne sais combien d’anti-douleur. C’est une maladie invisible.

J’ai toujours été transparente concernant ma maladie avec mes employeurs. Si je change de patron, je fais faire une lettre par mon chirurgien expliquant que je suis atteinte d’une maladie chronique qui entraînera des arrêts maladie. Je fais toujours faire des justificatifs par l’hôpital, plus qu’il n’en faut.

A l’issu de mon alternance, on m’avait promis une embauche. Mais avec mes deux jours d’arrêts chaque mois, c’est devenu plus compliqué. J’ai été convoquée chez les RH, ils sont arrivés avec mon dossier, épais comme une encyclopédie… La RH, une femme, m’a regardée en face en me disant : « Ecoutez, vous représentez pour nous un profil trop à risques et on préfère se passer de vous ». Tout était dit.

Ce n’est pas parce que je veux faire des enfants que l’endométriose me pose problème…

• Le mythe de la fertilité •

Je ne me reconnais pas dans les portraits qui sont faits aujourd’hui. Ce n’est pas parce que je veux faire des enfants que l’endométriose me pose problème. L’endométriose m’empoisonne l’existence parce qu’il n’y a pas un seul jour où je me réveille sans avoir mal au ventre, mal au crâne, mal au dos ou envie de pleurer. Mon humeur oscille entre l’hyper-dépression et l’hyper-enthousiasme. Niveau digestif, c’est compliqué. Mon transit, c’est l’enfer. Partir barouder en Asie, voyager pendant un an, travailler à l’étranger, je ne peux pas. Mon médecin me dit : « Et si vous faites une crise sur place ? Ce sont des opérations qui coûtent des dizaines de milliers d’euros ». Comment font les femmes atteintes d’endométriose si elles ne sont pas couvertes par la sécu ? J’ai de la chance. Alors oui, il faut faire le deuil de ne pas avoir d’enfants, mais c’est loin d’être l’unique contrainte. Au début, le fait de ne pas pouvoir avoir d’enfants m’interdisait de me lancer dans une relation sérieuse. En parlant avec des amis masculins, je me suis rendue compte que c’était un mythe. Les trois quarts ont répondu : « Si je suis amoureux d’une fille qui ne peut pas avoir d’enfants, je m’en fous, il y a toujours des solutions ».

« Ce n’est pas parce que votre fille a de multiples partenaires et fait la fête qu’elle est malade ».

Pourtant, dans les témoignages d’aujourd’hui, on continue de parler de filles tranquilles, avec leur mec, qui veulent des enfants… Alors, moi, grosse fêtarde, qui dort peu, qui boit, qui fume et qui fait des afters… Je ne me retrouve pas. Je suis une bonne vivante, donc tout de suite les gens se méprennent sur la justification de mes absences, y compris ma famille. Mon propre père était persuadé que c’était de ma faute. J’ai dû le faire venir devant le chirurgien pour qu’il lui dise les yeux dans les yeux : « Ce n’est pas parce que votre fille a de multiples partenaires et fait la fête qu’elle est malade ». Je sais que j’ai parfois abusé. Mais ça a aussi été un exutoire pour moi : faire la fête, être très entourée socialement, faire sans cesse des activités. C’est ce qui m’a sauvée. J’ai décidé de cramer la vie, je veux tout tenter, tout tester, parce que je perds trop de temps au lit, à rien faire. Mon rêve n’a jamais été d’avoir un chat, un chien, une maison et trois enfants… Et je ne suis sûrement pas la seule. Mon rêve, ça a toujours été d’être indépendante, de réussir dans ma carrière et oui, de rencontrer l’amour, puis aviser. Aujourd’hui, je suis épanouie et à l’écoute de ma sexualité.

• Bulle introspective post-opératoire •

Après une opération, éprouvante physiquement et mentalement, c’est une phase difficile. Je me suis tellement blindée pour survivre que j’ai un mal fou à faire preuve de compassion et d’empathie envers les gens. Tout me paraît « petits problèmes » face à ce que j’ai vécu. J’ai pris une telle distance par rapport à mon corps, à ma vie, à mes émotions, que quand mes amis me parlent, je suis une coquille vide. Je dois réapprendre à écouter les gens. A les aimer. Enfermée dans l’introspection, j’ai pris conscience d’un bon nombre de choses dans ma vie. Professionnellement, je m’étais toujours dit : vu que je n’aurai pas de famille et pas de mec, je vais tout miser sur mon boulot. J’ai atteint mes objectifs. Mais je suis consciente que mon travail, un statut cadre à responsabilités avec beaucoup d’heures et de déplacements, me prend trop de temps et d’énergie. Je ne suis pas une sur-femme. J’ai une maladie chronique et il faut que je l’accepte : Je ne peux pas être une business woman et avoir une endométriose. Alors, j’ai commencé les cours pour passer le Capes, je me concentre là-dessus, ça me change les idées.

• Chercher l’exutoire •

Ça fait huit ans qu’on m’a diagnostiqué cette maladie, trois fois que l’on m’opère, si je parle de tout ça aujourd’hui, c’est que j’ai eu le temps de cogiter. Après ma troisième opération, la douleur physique a été énorme, mais la douleur morale l’est doublement. Quand je ne suis pas bien, je vais marcher, courir, nager. Sauf que, quand je ne peux pas bouger, je ne peux pas me défouler physiquement. C’est frustrant. Je dois trouver des moyens de m’évader autrement, immobile. Sinon, je deviens folle. Je me suis remise au dessin, à la lecture, à regarder des documentaires, j’ai pensé à me mettre à la photo.

Mais ma plus grande force, je la puise surtout dans mes amis. Avec ma famille, ça a toujours été un peu plus difficile. Je n’ai pas voulu qu’ils viennent me voir à l’hôpital tant que je n’arrivais pas à marcher. Ils l’ont mal pris. Ils sont très anxiogènes. Il y a plein de familles comme ça, et sous prétexte que c’est la famille on se surpasse. Mais non. Après une opération comme celle-là, j’ai décidé d’être égoïste. J’ai été les voir une fois que j’avais emmagasiné assez d’énergie et de force. J’ai été égoïste sur énormément de choses, c’est de la survie, je n’ai pas eu le choix. Je me suis éloignée des gens nuisibles et me suis rapprochée des personnes que j’aimais et qui me faisaient du bien. Ça m’a sauvée : Je n’étais entourée que d’amour ! Je me suis mise dans un petit cocon de love et j’ai zappé tout le reste.

Le deuil d’avoir le choix ou non d’avoir un enfant. Le deuil d’une relation spontanée. Le deuil d’une carrière. Le deuil d’une vie normale.

C’est peut être cliché, dans ces moments-là, on se rattache aux choses simples. Avant, j’étais vachement sur les réseaux sociaux. A chaque fois que je faisais quelque chose je le prenais en photo. J’ai arrêté. Je vais me balader en forêt, je reste une heure face à la mer, juste pour puiser de l’énergie. Je prends tous les moments pour moi. A chaque fois qu’il y a une source de joie, aussi infime soit-elle, je la prends et je la chéris pour en faire quelque chose de positif. On parle beaucoup des maux physiques, mais à terme, les maux sont surtout moraux. Souvent, les gens me trouvent surexcitée, mais si je ne l’étais pas, le spleen prendrait le dessus. Je sais que ma vie se met sur pause pendant six mois, tous les trois ans. Etre atteinte d’endométriose, c’est une série de deuils. Le deuil d’avoir le choix ou non d’avoir un enfant. Le deuil d’une relation spontanée. Le deuil d’une carrière. Le deuil d’une vie normale.

• Amour, désir ou montagnes russes •

Côté cœur, jusqu’à maintenant, dès que je commençais à tomber amoureuse ou avoir le moindre sentiment, je me forçais à m’éloigner, à ne plus donner de nouvelles, à coucher avec plein d’autres personnes pour ne plus l’aimer…

Avec les traitements hormonaux, tout est aléatoire. Alors, avoir un mec et une endométriose, c’est très compliqué. Il y a des jours où on ne peut pas te toucher avec un bâton, et d’autres où tu ferais l’amour à la terre entière. Ça fait quatre ans que je suis volontairement célibataire. Si mon mec ne sait jamais vraiment quand est-ce qu’il peut me toucher, est-ce que j’ai des pertes de sang ? Est-ce que j’ai mal au ventre ? Est-ce qu’aujourd’hui c’est le bon jour ? Est-ce qu’aujourd’hui je ne suis pas énervée ? Est-ce qu’aujourd’hui je ne vais pas pleurer ? Ce n’est pas vivable. Alors, je régule ma sexualité comme je veux, parce que cette maladie ne me permet pas d’être spontanée. Si je vois régulièrement quelqu’un, je lui dis au bout de la deuxième ou troisième fois où l’on couche ensemble : « J’ai eu des problèmes de santé liés à mon utérus, je peux avoir mal dans certaines positions, je peux avoir des saignements inopinés… » Pour moi qui suis guidée par le désir, tout s’évanouit assez rapidement avec cette maladie. Elle me donne simplement du répit. Aujourd’hui, je suis mon instinct, je ne me violenterai plus l’esprit comme ça. Je pense que je suis prête à assumer une relation.

Quand je fais l’amour, je redécouvre mon corps à travers le spectre du plaisir.

• Se ré-approprier son corps, volé par la maladie •

Mon ventre, mon vagin, mon utérus, mes ovaires et moi, on a un rapport de souffrance et de douleur, je pourrais m’arracher les entrailles. Alors, quand je fais l’amour, je redécouvre mon corps à travers le spectre du plaisir. Je n’associe plus uniquement cette zone à la souffrance. Et c’est hyper important. Il y a des dizaines de chirurgiens qui me touchent, me font des frottis, me rentrent des trucs, des tubes, des machins… En fait, mon corps ne m’appartient plus. Ce n’est qu’un morceau de chair. Pour les chirurgiens je suis un bout de bidoche. Alors, pour moi aussi. Je peux être à poil devant une dizaine de personnes, ça ne me fait plus rien. Quand je suis à l’hôpital, après une opération, j’ai dix internes qui viennent regarder mon vagin le matin au réveil. Alors on aura beau me dire : «Tu devrais peut-être te calmer, pourquoi tu couches avec autant de mecs ? » En fait, je vous emmerde. Parce que coucher avec autant de mecs, ça me fait du bien, ça m’aide à me ré-approprier mon corps. Eux me touchent autrement que médicalement. Mon corps change. Avec mes huit trous dans le bide, mon ventre gonflé, ma peau qui pend parce que j’ai perdu huit kilos et ne peux pas faire de sport pour la raffermir, je me trouve moche. Après chaque opération, c’est un nouvel apprentissage. Se sentir belle. C’est indispensable. Etre dans une démarche de séduction, faire l’amour, être avec des hommes qui me disent que je suis belle, me font jouir, ça m’aide. Sinon, je n’ai que la vision de mon corps, délabré.

• Interdiction d’enterrer son utérus •

Ouvrir sa gueule. A force, j’ai appris une chose : il faut crier pour qu’on nous entende. Gueuler aux médecins que ce n’est pas normal d’avoir mal, gueuler pour avoir un rendez-vous plus tôt, gueuler pour qu’on te prenne au sérieux. Je pense qu’on a la chance d’avoir une voix, beaucoup plus qu’avant, il faut que l’on s’en serve. Comme l’endométriose est un dysfonctionnement de l’utérus, pourquoi ne pas se faire retirer l’utérus ? Pas mal de femmes en parlent. La difficulté, c’est que lorsqu’on retire les ovaires et l’utérus, le corps pense que l’on est ménopausée et on développe d’autres maladies, liées à la ménopause, l’ostéoporose par exemple. Cela fait des années que je demande qu’on me retire l’utérus. Mais les médecins refusent. Aujourd’hui, une jeune femme ne peut pas décider de se faire retirer l’utérus ou les ovaires. Ce n’est pas « déontologique ». Selon eux, je pourrais me retourner contre l’hôpital dans dix ans en prétextant que je n’étais pas bien informée, que je voulais des enfants… Et même en signant toutes les décharges possibles, « non », je suis trop jeune. A partir de quel âge ai-je mon libre arbitre ? Faut-il que je sois mariée avec un chien et trois enfants pour que j’aie le droit de décider de ce que je fais de mon utérus ? Il y a un gros travail à faire par rapport au droit de la femme de disposer de son corps comme elle l’entend. Surtout quand c’est médicalement pertinent. »

En savoir plus

La question Fler :
De qui ferais-tu le portrait ?

J.K Rowling, pour avoir des précisions sur les zones d’ombre d’Harry Potter !

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