Omar : un « Petit Terroriste » à contre Coran
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A l’heure où la Syrie vole en éclat, Omar Youssef Souleimane raconte. Exilé politique, ce poète et journaliste Syrien publie « Le petit terroriste ». Sorti le 3 janvier dernier, Omar y expose, la plume subtile et drôle, le récit singulier d’un adolescent dans le monde arabe. Portrait.

Le 11 janvier 2015, Omar Youssef Souleimane est à Paris, Place de la République. Les yeux rivés sur les pancartes « même pas peur », il se souvient : « Chez nous, on est tenu par la peur. On grandit avec elle et elle grandit avec nous. Peur de la famille, du régime, de la politique, peur d’Allah… », explique Omar, « Allah rassemble beaucoup de dictateurs arabes. Il est sado et aime que l’on soit maso ». Chaque jour, la colère d’Omar disparaît, mais il ne peut s’empêcher d’analyser pour combattre : « Quand il y a la peur, nous ne sommes pas libres. C’est ça que cherchent les politiques du monde arabe. Mon travail d’écrivain aujourd’hui, c’est d’enlever cette peur ». Pour cette bataille, Omar dégaine la seule arme qu’il porte encore, son stylo. Confiné dans la foule de parisiens sous le choc, il se dit ému : « Ca aurait pu être moi parmi les tueurs. Être Kouachi, c’était mon rêve ». Le soir même, naissent les premières lignes de celui qu’il appellera « Le Petit Terroriste ».

« Le petit terroriste », c’est lui. « Quand j’étais enfant, on m’appelait le petit Omar pour me différencier de mon oncle Omar. Moi, je voulais surtout être le plus petit terroriste au monde », raconte Omar, à qui sa maman disait : « Mange bien pour être fort comme Oussama ». Omar grandit à Al Qutayfah, un petit village au nord de Damas. « Il faisait beau, c’était calme, mais la société était très croyante. » Dans les rues d’Al Qutayfah, « il y avait beaucoup de mosquées, ma famille était spéciale. Elle n’était pas juste croyante, elle était Salafiste et passionnée de littérature arabe ». Ses parents sont dentistes. La jalousie ronge leur couple. Quand il divorcent, Omar a quatre ans. A cinq ans à peine, Omar, enfant curieux, grandit dans les livres. Il apprend le Coran et la poésie par cœur.

Aujourd’hui, Omar a 30 ans. Il a fière allure dans son long manteau noir. Une dégaine d’écrivain. On le retrouve sur l’esplanade du centre Pompidou, à Paris, le cou enroulé dans son foulard bleu. Sous la monture fine et rectangulaire de ses lunettes, ses yeux rappellent le brun de sa barbe de trois jours et de ses cheveux épais qui ne demandent qu’à boucler. Omar a un regard séducteur et un sourire généreux que souligne, comme une fossette, son grain de beauté sur la joue droite. Le coin de ses yeux et celui de sa lèvre inférieure se soulèvent, taquins, quand il aborde la poésie, l’amour, et l’humour. Il porte un bracelet en bois au poignet gauche, sa part de féminité, dit-il, malicieux.

« Quand je disais que j’étais Syrien, on me traitait de ‘’pédé’’ »

Omar a treize ans quand ses parents se remarient. Avec son père et son frère, Sayid, ils rejoignent sa mère en Arabie Saoudite où il entre à l’école coranique : « On étudie le monothéisme, les hadiths, la jurisprudence islamique, l’explication coranique, le Coran… Les cours normaux, c’est de temps en temps », explique-t-il en replongeant dans ses souvenirs, « J’ai appris 602 pages par cœur, dans une langue ancienne, qu’on ne comprend même pas, même Allah ne comprend pas », ironise-t-il. Peu de place donc à l’histoire, aux langues et à la géographie… Normalement, l’école est réservée aux Saoudiens, Omar est montré du doigt. « Quand je disais que j’étais Syrien, on me traitait de ‘’pédé’’ ».

A Riyad, où ils habitent, la vie tourne autour de la religion. Omar fait ses cinq prières par jour et ne connaît que deux visages féminins, celui de sa maman et de Mouna, l’assistante de sa mère pour qui il nourrit un fantasme interdit. « Si cela se savait, je serais un fornicateur et je recevrais quatre-vingts coups de fouet sur le dos comme le prévoit la charia », raconte-t-il, dans son livre.  Le visage de la culpabilité.

Omar vit la violence chaque jour et supporte le regard raciste. En Arabie Saoudite, j’étais un humain de seconde classe. « Les Pakistanais, les Philippins, les Indiens composaient la troisième. En revanche, il n’existait pas de différence entre les djihadistes : toutes les nationalités combattaient comme des frères sous un même drapeau où figure : «  Il n’y a de Dieu qu’Allah ». Omar commence à répondre à la violence par la violence : « Je rêve de voyager en Afghanistan. Je me vois dans les montagnes avec ma kalache, libre et fort comme Bruce Lee ». A 17 ans, Omar part en pèlerinage à la Mecque. « Presque trois millions de personnes tournaient autour d’une maison vide », se moque-t-il gentiment aujourd’hui.

« Les ados cherchent un héros. En Europe, c’est un chanteur, en Arabie Saoudite, c’est Oussama Ben Laden »

Omar est adolescent. Par nature, l’adolescence est souvent une période radicale, dans le monde arabe, « elle est très radicale. Et quand on a des idées différentes, on est tout seul. J’ai vécu enfermé toute mon adolescence à cause de la peur ». L’adolescence, c’est aussi s’identifier, chercher un modèle : « Tous les ados cherchent un héros. En Europe, c’est un chanteur, en Arabie Saoudite, c’est Oussama Ben Laden ».

2001 en Arabie Saoudite : tout s’arrête. Nous sommes le 11 septembre, « Ma mère reste fixée au poste. Ben Laden est sur tous les écrans. Elle l’adule. On n’a pas cours, les professeurs ne parlent plus que de ça : Ben Laden nous a vengé des américains, c’est devenu le héros national ». Omar aussi rêve d’être à sa place : « Je voulais que ma photo fasse la Une de tous les journaux. Mouna m’aurait peut-être remarqué comme ça ? » S’imaginait-il, du haut de ses 15 ans. « Après le 11 septembre, tout le monde parle de Saladin, du Djihad. Comme le résultat d’une grande propagande dans le monde arabe, qui présente ces criminels comme des héros, « mon rêve le plus cher est d’orchestrer un attentat contre les grands ennemis : les Etats-Unis, Israël », reconnait Omar.

« C’est grâce au Coran que je suis devenu athée. Allah m’a sauvé, grâce à ses conneries »

L’été pointe son nez, c’est le temps des grandes vacances. Omar ne sort pas de chez lui ou presque. Les rixes sont fréquentes dans la rue et on entend aux infos des tas d’histoires de vols et de viols d’enfants. Mais Omar a eu de bonnes notes, alors, pour tuer l’ennui, son père lui offre un ordinateur : « J’installe mon écran de façon à ce que personne ne voit ce que je regarde. Je découvre l’Internet », se souvient-il. Désormais, Omar peut tapoter toutes ses questions sur le clavier, sans jugement. Lui qui s’interroge sur la religion, et le fait qu’Allah ne réponde jamais à ses prières, plus rien ne lui échappe : « En fait, c’est Bill Gates qui m’a aidé à sortir de cette idéologie horrible », dit-il maintenant en riant.

Grâce à internet, il lit des livres interdits. De la littérature préislamique, de Taha Hussein, fût sa première infidélité. « Hussein use du doute cartésien : il met en cause l’authenticité du Coran ». Omar est touché par ces lignes. Alors, bien qu’il en connaisse les versets par cœur, il décide de relire entièrement le Coran, sans préjugé. « Est-ce un livre de paix ou de guerre ? », songe-t-il jour et nuit. Il pense secrètement : « Le Coran, c’est de la merde ». L’adultère marié doit être lapidé à mort ; le célibataire doit recevoir cent coups de fouet ; le voleur verra sa main tranchée ; le déserteur doit être tué et le musulman qui ne prie ni ne jeûne sera sanctionné par la prison ou par la bastonnade. Omar n’est plus d’accord : « C’est grâce au Coran que je suis devenu athée. Allah m’a sauvé, grâce à ses conneries ». Sonne le début de sa liberté conditionnelle.

Etudiant, poète et journaliste correspondant, c’est le début de sa propre révolution.

Omar s’éloigne un peu plus chaque jour de la religion, et de l’Arabie Saoudite. En juillet 2003, lui et sa famille retournent en Syrie. Omar empaquète ses livres et abandonne volontairement le Coran sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. Dans le bus, son père le lui réclame. « Il est dans les cartons », ose-t-il mentir. La Syrie, c’est un nouvel exil : « J’ai grandi loin de mes amis, dans un autre monde. » Là-bas, il entame un Bac S, « l’enfer ». Au début, il ne comprend rien à l’école et travaille beaucoup pour rattraper son retard. Omar se cherche. S’il y a une chose qu’il n’a jamais cessé de faire, c’est écrire des poèmes. Son bac S en poche, il quitte la maison pour étudier la littérature arabe à Homs. Etudiant, poète et journaliste correspondant, c’est le début de sa propre révolution.

A 20 ans, Omar, avoue à ses parents : « Je ne crois plus au Coran. » Son père, décédé il y a quelques mois, ne l’a jamais accepté. Être athée est un crime. Le prophète a dit : «  Celui qui change de religion doit être tué ».

Les six mots de français qu’il connaît résonnent dans un coin de sa tête : « Bonjour », « Bonsoir », « Au revoir », « Merci », « Pardon » et, « Liberté ».

Fuir. Al-Qutayfah, Homs, Damas, Daraa, Nasib… Omar est dénoncé, recherché par les services secrets. Dans son livre, il écrit : « J’ai compris qu’Al-Qutayfah était pour moi une terre morte ». Ils vont le retrouver, il doit s’en aller. Il se déguise pour passer les postes de contrôle entre Homs et Damas. Transformation. Maquillage, crâne tondu, lentilles vertes, Omar se trouve beau. Nous sommes en 2012, alors que la Révolution arabe atteint son paroxysme, ce n’est plus Damas qu’il doit quitter, mais bien le pays. Ayman, un ami de l’université va l’aider. Il connait un passeur. Omar atterri au nord de la Jordanie, dans le camp Al-Ramtha. Comme il est journaliste, il obtient une autorisation de sortie au bout de trois jours et est transféré à l’hôtel. Mais à l’accueil, son accent syrien le trompe, il est pris pour un terroriste : « Les forces jordaniennes ont frappé à la porte de ma chambre, j’étais dans mon bain ». Omar a ouvert et s’est retrouvé presque nu, un pistolet sur la tempe. Ils l’embarquent. Omar n’est pas terroriste, mais terrorisé. Quand ils se rendent compte de leur erreur, ils le congédient et font livrer un plateau-repas avec une bouteille de champagne. « J’ai tout renvoyé ! Je suis resté dans mon lit, statique, presque inerte », se remémore-t-il.

Les six mots de français qu’il connaît résonnent dans un coin de sa tête : « Bonjour », « Bonsoir », « Au revoir », « Merci », « Pardon » et, « Liberté ». Ce dernier sonne plus fort que les autres. « La France, c’est Paul Eluard », dit notre poète. Paul Eluard est très traduit en langue arabe, comme Aragon. Alors, il associe : Liberté – France – réfugié… « J’ai consulté le site de l’ambassade française à Amman et noté le numéro ». Dès le lendemain, Omar demandait un rendez-vous en urgence. Après trois heures d’entretien, on lui dit qu’il ne doit pas rester ici un jour de plus. Son ordinateur, quelques sous-vêtements et un « laisser-passer » sur le dos, Omar devient étranger. « Je ne traverse pas l’espace. Mais le temps. Je quitte ce Moyen Âge qui contrôle le Moyen-Orient et gagne une époque que je ne connais pas encore », écrit-il.

«Je suis un poisson perdu dans une mer qui s’appelle Paris. Une ville violente, mais magnifique, une adolescente et une mère à la fois »

Forcé de quitter son pays, Omar se retrouve à être un numéro. L’arrivée est difficile, mais Omar fait sa renaissance. Quand il débarque rue du Paradis, Omar a 25 ans. Paris, les parisiennes, le béton, les hauts immeubles, le métro, les cafés, la liberté. Omar se perd chaque jour pour mieux se retrouver. Il écrit, il écoute. La préfecture l’inscrit à des cours de Français, il apprend vite. Jacques Brel, Edith Piaf et Plus belle la vie, l’aident aussi. « Je suis un poisson perdu dans une mer qui s’appelle Paris. Ce n’est pas une ville, c’est un monde. Une ville violente, mais magnifique, une adolescente et une mère à la fois », esquisse Omar, une poésie naturelle dans les mots et la voix.

Aujourd’hui, écrivain réfugié dans la langue française, Omar vit entre deux cultures, deux civilisations, deux langues, « C’est un voyage que tu vis tout le temps, même quand tu dors : Je souffre en arabe et je rêve en français ». Il aimerait construire des ponts entre ces deux rives, entre ses deux vies, contre Trump, contre le FN, contre le racisme. Il dit : « Si les gens qui le vivent ne les créent pas, qui va les créer ? » Et selon notre architecte de Babel, « le pont, c’est l’art ! »

Comme un remède à la peur

Nous sommes en janvier 2018. Cinq ans plus tard, son humour a traversé les frontières et fuit avec lui le régime de Bachar al Asad. Omar nous fait rire en français, un léger accent d’Orient dans les voyelles, autour d’une pinte de Chouffe et entre deux bouffées de cigarette. Il raconte son histoire et l’histoire de ce premier livre, « Le Petit Terroriste ». Un livre autobiographique, né le soir du 11 janvier. Comme un remède à la peur, ce livre, « c’est raconter mon monde secret, dévoiler une expérience, fermer une page et en ouvrir une nouvelle pour dire adieu ». Ce livre, c’est un exutoire.

 

Photos : @JuliettePaulet

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La question Fler :
De qui ferais-tu le portrait ?

“Ma mère”

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