Manteau à fourrure noir, crâne rasé, chihuahua dans les bras et café à emporter, lorsque qu’Emmanuelle arrive, on ne peut pas la rater : « Enchantée, je suis Emmanuelle », dit-elle en souriant. Elle s’assoit, pose son chihuahua Anatole sur ses genoux et commence à se présenter : « Je m’appelle Emmanuelle, j’ai 24 ans, je viens du Havre et je suis danseuse », annonce-t-elle d’une voix grave et enjouée.
Aujourd’hui tenante d’un des rôles principaux de la comédie musicale Grease, on se demande comment elle en est arrivée là : « Je danse depuis que j’ai 3 ans et demi. J’ai toujours adoré la danse et tout ce qui l’entoure : les costumes, les spectacles, l’odeur de la laque », nous raconte-t-elle. Dans son association de danse de quartier, elle commence par des cours de danse jazz et de danse classique, avant de s’essayer à d’autres styles : « Dans cette asso, il y avait souvent des stages, je les faisais tous : street, afro, puis un jour, comédie musicale », se rappelle-t-elle. C’est l’Aicom, l’une des écoles de comédie musicale française, qui vient donner ce stage dans sa ville. Et à l’époque, les comédies musicales sur lesquelles Emmanuelle a travaillé étaient Chicago… et Grease. Un doux souvenir pour notre normande.
“Plus les jours avançaient, plus je me disais que c’est ça que je voulais faire”

Durant des années, Emmanuelle danse tous les jours. Une véritable drogue pour la jeune fille qui décide, au lycée, de se lancer pour de bon : « Je voulais m’y mettre sérieusement, alors je me suis inscrite au conservatoire de danse. J’aimais beaucoup mon association, mais il me manquait la technique », explique-t-elle. Tous les soirs après les cours, Emmanuelle va danser. Elle adore ça : « J’ai tout déconstruit pour tout reconstruire et réapprendre les bases. Je me suis un peu saignée, mais plus les jours avançaient, plus je me disais que c’est ça que je voulais faire », raconte-t-elle encore pleine de convictions.

Emmanuelle obtient son Bac et s’inscrit aux beaux-arts : « Je n’étais pas encore sûre de ce que je voulais faire de ma vie, je me voyais bien plasticienne. » Elle commence alors quelques cours, mais se rend vite compte que la scène lui manque. Cependant, quitter le Havre pour faire des études dans une autre ville n’est pas aussi simple : « J’ai été en famille d’accueil toute mon enfance. Mes parents ne pouvaient pas me garder à ma naissance, tout le monde ne peut malheureusement pas être parent », nous confie-t-elle. Mais elle le dit, « c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. » À ses 18 ans, elle n’est plus sous tutelle. Elle n’est donc plus aidée financièrement par sa famille d’accueil. Elle demande une rallonge de placement pour prolonger l’aide financière encore un petit moment, mais cela ne dure pas indéfiniment : « J’étais dans une période transitoire. J’ai un véritable lien affectif pour ma famille d’accueil, mais je savais que leur devoir était terminé. J’ai donc voulu me débrouiller toute seule », explique-t-elle.

Elle commence alors des auditions pour les écoles de comédie musicale et de danse à Paris : « C’était assez compliqué, je passais des auditions en cachette, je touchais doucement le rêve parisien ». Puis, Emmanuelle est prise à l’école de danse Choreia : « J’ai décidé d’aller là-bas parce que je préférais danser et je me suis dit : « On verra bien après ». Mais je gardais en tête la possibilité de tenir un jour un rôle dans une comédie musicale », se souvient-elle.
Ses études de danse n’ont pas été de tout repos. Motivée comme jamais, Emmanuelle arrive sans un sou en poche à Paris. L’école coûte 4 000€ par an, il faut qu’elle remplisse son compte en banque pour pouvoir continuer de danser : « Je n’avais que la bourse du CROUS, donc pour pouvoir tout payer je faisais le ménage tous les matins à l’école, l’après-midi j’allais en cours et le soir je travaillais dans un restaurant », raconte Emmanuelle, « les journées étaient longues, mais je n’avais tellement pas de thune. » Elle se rend également compte que le lien majeur qu’elle avait avec sa famille d’accueil, plutôt financier, se transforme en une véritable relation affective : « Il a fallu créer un nouveau lien avec eux. Mais maintenant, lorsque je rentre pour Noël, je me dis vraiment que là, j’ai une famille », nous avoue-t-elle émue.
Durant ses études, elle commence à jouer dans ses premières comédies musicales : « Je suis danseuse, mais j’ai vite été approchée pour travailler sur des projets où je devais chanter. J’ai toujours chanté, mais j’avais un style différent de celui des comédies musicales, j’étais plutôt rock, rebelle, j’allais même à des concerts de hardcore et je kiffais trop ça ! » Elle avoue cependant que le chant était une passion qu’elle ne travaillait pas, contrairement à la danse. Aidée par ses professeurs, elle joue dans une première comédie musicale : « Thanato Thérapie », au théâtre Marsoulan. Entourée de personnes qu’elle admire, elle joue le rôle de la méchante : « Je crois que j’ai toujours eu des rôles de méchantes », dit-elle en souriant. Elle est ensuite appelée pour travailler sur différents projets comme des cabarets ou des spectacles de danse. Tout s’est toujours bien passé : « J’avais tellement envie de réussir et j’étais entourée de gens avec beaucoup plus d’expérience que moi, ça me stimulait », explique-t-elle.
“Un spectacle qui te prend cinq jours par semaine, avec un vrai contrat de plusieurs mois, c’est assez rare !”
En deuxième année, Emmanuelle commence à donner des cours de danse à Arcueil. En parallèle, elle enchaine les auditions, souvent pour des projets non rémunérés : « Au début, il faut se faire du réseau, se faire voir, c’est pas toujours facile, mais ça te fait les armes, comme on dit. »

De plans galères en bons plans, une première vraie offre fait son apparition. Frozen Sing Along, un spectacle Disney tiré du dessin animé la Reines des Neiges : « C’était juste après mes études. J’ai arrêté de donner des cours et j’ai foncé sur l’occasion : un spectacle qui te prend cinq jours par semaine, avec un vrai contrat de plusieurs mois, c’est assez rare ! ». Emmanuelle rencontre d’autres artistes et reconnaît que les spectacles Disney sont de plus en plus intéressants artistiquement. Puis, tout s’enchaîne. Elle passe une audition pour la comédie musicale Cats au théâtre Mogador, elle est sélectionnée au casting, et la voilà dans l’un des rôles principaux de LA comédie musicale du moment à Paris : « C’est le show qui m’a le plus challengé », avoue Emmanuelle. Et pour cause, Cats est une comédie musicale vieille de 30 ans, mondialement connue et c’est la chorégraphe originelle, Gillian Lynne en personne qui s’est occupé de la troupe Parisienne. À 91 ans, Gillian Lynne en impose : « Elle est incroyable, perfectionniste : pâtes tendues, mouvements félins, griffes… tu deviens un animal », raconte Emmanuelle.
“Jouer une Rizzo noire, c’est un défi. Je me suis préparée aux critiques”
Après Cats, plus rien ne lui fait peur. Elle danse et chante sur un bateau de croisière durant plusieurs mois avant de revenir à Paris où elle auditionne pour la comédie musicale Grease. Elle est alors retenue pour le rôle de Rizzo, reine des Pink Ladies. Toujours sur les planches du théâtre Mogador, elle pétille. Elle arrive à s’adapter au personnage : sexuel, méprisant et touchant. Elle a réussi à s’en imprégner sans la copier. Une très belle performance vocale et scénique : « Rizzo, c’est une fausse méchante. J’ai rejoué le personnage à ma sauce. Jouer une Rizzo noire, c’est un défi. Je me suis préparée aux critiques », avoue Emmanuelle.
Toujours à 1 000% dans ses rôles, Emmanuelle a parfois du mal à sortir de son personnage. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’elle ne va pas s’arrêter de sitôt : « J’ai auditionné pour la prochaine comédie musicale du théâtre Mogador, mais ensuite j’aimerais beaucoup aller à Londres. Puis Broadway ! », espère-t-elle. Avec son petit nuage tatoué sur le bras, notre belle normande continue de rêver.

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De qui ferais-tu le portrait ?
“Je ferais le portrait de Tina Turner, dont l’histoire me touche. Pour moi c’est la mère de toutes les showgirls d’aujourd’hui, Beyonce, etc. Elle a tant de rage. Catharsis !”