Yoan arrive à notre rendez-vous à l’heure : “J’ai presque hésité à attendre devant la porte pour ne pas arriver pile à l’heure, c’est pas mon genre”, dit-il en riant. Yoan est grand sous sa casquette, il affiche un large sourire. Alors, qui es-tu ? “Je suis l’un de ces bordelais qui monte à la capitale en quête de travail et de nouveau souffle”, nous confie-t-il de sa voix grave. Yoan ne regrette pas son choix audacieux. “Mon père est du Congo Brazzaville, ma mère du Tchad. Ils sont arrivés en France en 84”, nous dit-il, surpris de se souvenir de la date précise. C’est eux qui l’ont initié à la musique. Fan de Mc Solaar, le papa arrive à attiser la curiosité de son fils : “ça m’a tout de suite parlé ! A côté de ça, mes sœurs écoutaient toutes les compils Planet Rap de Skyrock, avec du NTM, du Sniper et du Nuttea.” La maman elle, n’est pas très branchée rap : “elle écoutait plutôt les sons du bled, des musiques africaines que je n’aimais pas forcément à l’époque, mais que j’écoute avec plaisir et nostalgie aujourd’hui”, explique Yoan.
“J’écris aussi bien sur une cuite entre potes, que sur un truc politique qui m’a fait chier”

Déjà baigné dans un univers musical éclectique, Yoan ajoute des cordes à son arc en apprenant à jouer de la batterie et en chantant dans des chorales gospel avec ses sœurs : “C’était bon délire, on se retrouvait tous, on se marrait en repet’, c’était un peu comme des Jam Session, ça jouait à fond !” Nous explique Yoan. Il arrête la chorale à ses 18 ans et commence ses études à Bordeaux. C’est à cette période qu’il gribouille ses premiers textes : “Au début, c’était un peu pour écrire des idées, des pensées, puis avec le temps, c’est devenu un exutoire”. Écrire lui permet de se libérer, de se sentir bien et surtout, de parler de tout : “J’écris aussi bien sur une cuite entre potes, que sur un truc politique qui m’a fait chier”, pas de limite pour ce jeune homme souriant. Puis, ses ressentis et ses états d’âmes ont rapidement commencé à rimer, parce que “c’est quand même plus cool”.

“Je suis l’ami noir et je m’en fout”
En soirée, Yoan rappe quelques textes devant des copains qui deviennent vite ses premiers fans. Ces derniers le poussent : “Ils me disaient “t’as du talent, t’as une plume, faut exploiter ça !””, nous confie-t-il timidement. Pourtant Yoan n’est, à la base, pas un littéraire. Il sort d’un bac S sans grandes ambitions scientifiques et poursuit ses études dans la communication. Il écrit des scénarios, des histoires et c’est à ce moment là qu’il a le déclic. Il travaille aujourd’hui dans les Social Media au sein d’une agence de communication : “J’aime bien mon taf, mais j’ai toujours gardé dans un coin de ma tête l’idée de monter un vrai projet musical autour de mon écriture”, explique Yoan. Et c’est au fil des rencontres qu’un projet se construit, son blaze : “Laminoir”. Adepte de la “politique du bouche à oreille” : il veut se faire connaître via les personnes qui apprécient son travail. Mais pourquoi “Laminoir” ? “Je me suis souvent retrouvé en soirée à être le seul renoi entouré de blancs. C’est très second degré, ça me fait bien marrer. Je suis l’ami noir et je m’en fout”, explique Yoan. Yoan écrit, mais ne compose pas. Pour l’instru il collabore avec un ami bordelais : “Il est très bon et on s’est rapidement retrouvés pour commencer à enregistrer des sons”, explique Yoan. Puis, la vie parisienne a nourri ses textes, et Yoan se consacre de plus en plus au projet “Laminoir”. Avec son nouvel acolyte, ils enregistrent la chanson “De si bonne heure”. Avec ses paroles évocatrices et sa mélodie entraînante, ce son a titillé nos oreilles.
Quand on demande à Yoan de quoi parle cette chanson, on comprend vite qu’elle retranscrit sa difficile faculté à arriver à l’heure : “En arrivant à Paris j’étais un peu à la masse. Être dans la vie active est loin de ressembler au rythme étudiant. Mais je voulais toujours faire la fête avec mes potes et boire des coups. J’ai eu du mal à concilier vie sociale et emploi au début”, raconte Yoan. C’est ce paradoxe entre l’envie de faire la fête tous les soirs et la difficulté à se réveiller le matin pour aller au boulot qui l’a inspiré sur cette chanson.

La vraie difficulté pour un rappeur est de savoir s’imposer, imposer son style et son identité.
Il participe à des Jam Sessions et des Open Mic pour se confronter au public : “J’en ai fait une dizaine ces derniers mois. Ça me permet de voir des ambiances différentes. Parfois t’es devant vingt personnes et tu dois sortir un truc. Parfois, devant quarante personnes qui viennent aussi pour poser du son. C’est assez stressant et impressionnant”, nous confie Yoan. Mais à chaque fois, il pose son flow et en ressort fier avec l’envie de recommencer.
Le rap est aujourd’hui le style musical le plus écouté en France. On s’en rend compte en voyant naître des évènements comme le Hip-Hop Symphonique (organisé par Radio France), ou encore en arpentant les programmations des festivals de 2018. La vraie difficulté pour un rappeur est donc de savoir s’imposer, imposer son style et son identité. “Mettre en place un univers, créer un personnage”, c’est ce qu’il explique aux jeunes de quartiers à qui il donne des cours de communication digitale. Il cite comme exemple Lomepal ou encore Roméo Elvis, des artistes ayant réussi à se créer une réelle identité sur les réseaux sociaux.

Les goûts et les inspirations musicales de Yoan se tournent vers des rappeurs comme Orelsan, Nekfeu, Lomepal, mais pas seulement : “J’écoutais beaucoup de rap, mais j’ai essayé de me calmer là-dessus, car je n’arrêtais pas de comparer aux autres artistes”, annonce Yoan. La techno, la house ou la disco tournent également en boucle dans son I-Pod parce que c’est “d’la balle” et que les chanteurs ont des voix “de ouf”. Il nous avoue tout de même sa fascination pour Kendrick Lamar et Asap Rocky qui sont, malgré leurs différences, des rappeurs aux influences folles : “Le rap US a toujours connu une longueur d’avance, il ne faut pas oublier que tout vient de là”, confie Yoan.
“Si j’ai l’opportunité de pouvoir vivre de ma passion, je fonce”
Avec un EP “fait maison” en préparation, Yoan veut proposer quelque chose qui lui ressemble. Il pioche encore une fois dans son réseau en contactant un ami coordinateur du centre culturel Mahalia Jackson à Porte des Lilas à Paris. Il lui fallait quelqu’un capable de mixer son EP pour un rendu professionnel : “Là-bas, ils ont un studio, du matos, un ingé son, c’est vraiment bien”, explique Yoan tout sourire.

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De qui ferais-tu le portrait ?
Si je restreins à la musique : Ray Charles. Il a une histoire tellement balèze.